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Posted on 16 décembre 2012 in Gastro

Bobo, bio, boco!

Bobo, bio, boco!

Restauration rapide à Paris

Bio, bobo, boco…

A Paris, les cantines rapides originales et de qualité se multiplient. Parmi elles, «boco», la mini-chaîne lancée par les frères Vincent et Simon Ferniot, fait un tabac. Reportage, dans les coulisses d’un monde où, la haute gastronomie devient au prêt-à-manger ce que la haute couture est au prêt-à-porter.
Par Pierre Thomas
Un tian de légumes au curry doux, signé Anne-Sophie Pic, cuisinière «haut de gamme» à Valence, Lausanne (Beau-Rivage Palace) et Paris (où elle vient d’ouvrir la Dame de Pic). Une lasagne de polenta, champignons et épinards, signée Emmanuel Renaut, chef à Megève. Un «petit québécois» poire et sirop d’érable, dessert signé Christophe Michalak, ancien champion du monde de pâtisserie. Trois plats, de trois grands noms de la cuisine française d’aujourd’hui, pour moins de 20 euros (24 francs), ça existe et ça se laisse manger. A Paris, près de l’Opéra, mais aussi à Bercy et dans le quartier de la gare Saint-Lazare.

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On fait son choix dans le frigo et sous le portrait des chefs triplement étoilés.

Du fast food à la française
Bien sûr, les chefs ne sont pas présents et leurs plats ne sont pas servis à table entre deux couverts d’argent. Ces triples étoilés du Guide Michelin ont mis leur recette à disposition et elles sont apprêtées en bocaux de verre, réchauffés sur place, ou proposés à emporter, chez boco. La formule fait un tabac dans la capitale française. Le guide «tendance» de la cuisine hexagonale, Fooding, dans son édition 2013, résume la formule: «On prend des grands chefs bourrés d’étoiles, on leur demande de signer des recettes, on les prépare avec des produits bio dans un labo en banlieue, on les enferme dans des bocaux et, badaboum!, on sert le tout aux cadres pressés, ravis de trouver une alternative à la mangeaille insipide des quartiers d’affaires.» Fooding classe la mini-chaîne dans la catégorie «dînette», soit un «fast-food à la française, sans French fries» et, sous-titré en anglais, qui «control your appetit with fun».

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Derrière boco, deux passionnés du bon goût, les frères Ferniot, Vincent (à g.) et Simon (à dr. sur la photo ci-dessus). Les fils du très cathodique Jean, disparu l’été passé au bel âge de 93 ans, et dont la devise était : «Je ne mange que quand c’est bon». Chaque jour, Vincent, 52 ans, anime une émission «terroir» sur France 3. Quant à Simon, 48 ans, il est devenu le patron de boco, après un parcours dans l’industrie des loisirs, mis sur orbite par l’Ecole hôtelière de Lausanne, dont il est diplômé (promotion 1988).
Les bocaux  sur une idée de Marc Veyrat
Simon Ferniot ne cache pas que c’est le cuisinier Marc Veyrat qui a donné l’idée des bocaux. Sur la même formule, avec une vaste offre de produits, son comptoir-resto Cozna Vera d’Annecy-le-Vieux n’a pourtant tenu que quelques mois, de fin 2008 à mi-2010. A Paris, la réussite est déjà au rendez-vous, explique Simon Ferniot : «Notre projet est à trois étages. Primo, un restaurant pour valider notre concept, à la rue Danielle-Casanova. Secundo, étendre l’offre sur tout Paris, avec Bercy, ouvert en mai, et Saint-Lazare, en octobre 2012. Avec ces trois adresses, nous sommes proches de la rentabilité et de la couverture des frais fixes de notre cuisine centralisée de Vincennes. Tertio, on vient de débuter la livraison de plateaux-repas, livrés en entreprise. Ensuite seulement, signer des franchises pour des aéroports, des gares. Ou alors, nous étendre en province, ce qui implique d’implanter d’autres cuisines centralisées…».
Le restaurant fonctionne en self-service: muni d’un panier, le chaland se sert, dans des frigos, de bocaux en verre. Sur chacun, la liste détaillée des ingrédients et le nom du chef. Anne-Sophie Pic et Emmanuel Renaut figurent en (bonne) compagnie d’autres triples étoilés, Gilles Goujon et Jean-Michel Lorain, et des pros du dessert, comme Christophe Michalak, le mieux rétribué en royalties, en fonction des ventes réelles des produits proposés. En attendant, dès la carte d’hiver (dès le 15 décembre; une carte par saison), un autre triple étoilé, Régis Marcon, le roi des champignons. «Aux produits bio, on a dû ajouter les produits sauvage. Même les instances officielles admettent cette entorse, pour les champignons et certains crustacés. Il nous est arrivé aussi de modifier une recette : l’un d’eux nous avait proposé un parmentier de joues de porc. On a dû corriger le tir, car comment trouver un tel produit tous les jours ? Mais en trois ans, on s’est rendu compte que la filière bio s’organise de mieux en mieux. On y croit fermement.» Et la clientèle suit : près de deux tiers des clients de boco sont des clientes.

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Sur un plateau, les bocaux pré-chauffés et coiffés de leur couvercle…

Techniquement, la chaîne a fait évoluer son processus d’élaboration : «Au coup de feu de midi, les bocaux sont déjà mis au four et il suffit de deux ou trois minutes pour que le client les obtienne, sur place, à bonne température. Grâce au joint du bocal, on peut cuire sous vide et même pratiquer la flash-pasteurisation pour allonger le délai de consommation. La grande difficulté de tout restaurant, c’est d’assurer chaque jour une qualité équivalente.»
Une formule adaptable à la Suisse?
A Paris, outre l’effet de mode, une double constante a donné un coup de pouce: d’une part, la durée du repas de midi et, d’autre part, le porte-monnaie, deux facteurs qui rétrécissent comme peau de chagrin par les temps qui courent. Avec un menu du jour (entrée, plat, dessert) à 14,80 euros (17,76 fr.) et un ticket moyen à 19 euros (23 fr.), boco draine des consommateurs qui veulent limiter le temps passé à table et le montant de l’addition. Une tendance lourde, comme l’explique Simon Ferniot: «En France, la restauration rapide ne cesse de gagner des galons! Selon les statistiques, 85% des repas sont payés en-dessous de 15 euros (18 fr.). Pour les Français, il y a les très grandes tables, où, sans mensonge sur les produits et leur apprêt, la fête se paie très cher. Et puis, le quotidien, où on recherche le meilleur rapport qualité-prix. Les gens exigent ce qui est parfaitement clair, l’un ou l’autre. Il n’y a plus de place pour ces adresses où on a l’impression, midi ou soir, de payer 40 euros ce qui en vaut tout au plus 20.»
Le constat est aussi valable pour la Suisse, c’est certain! A midi, hormis pour l’assiette ou le plat du jour, la clientèle ne s’attable plus guère pour des menus «entrée-plat-dessert» à la carte. Citadin, tablant sur des vedettes françaises, le concept des frères Ferniot peut-il s’exporter? Lorsqu’il avait lancé son Cozna Vera, Marc Veyrat parlait d’ouvrir des succursales à Paris et à Genève. «Nous aussi, on a reçu des signes d’intérêt de Lausanne et de Genève», confie Simon Ferniot. «Et nous avons des demandes sur Lyon. Avec une cuisine entre Lyon et Genève, à Bellegarde, on pourrait ravitailler les deux villes», rêve à voix haute le pdg de boco.
www.boco.fr

Le bio peine à avoir pignon rue en Suisse

«Je vais vous étonner: l’argument bio ne vient qu’en cinq ou sixième incitation chez nos clients», dit Simon Ferniot. Celui-ci constate une méfiance viscérale des consommateurs envers le «bio», notamment à cause de la multiplication des labels.
En Suisse romande, pour favoriser des mets à emporter équilibrés, sur la base d’un cahier des charges précis à faire valider, un label est né il y a trois ans, d-livert. Il n’a guère réussi à convaincre: cinq établissements sont labellisés d-livert, dont — seulement — deux restaurants, à l’enseigne de Chick’n’more, à Martigny et à Lausanne. «Il est très difficile de faire manger autre chose que des hamburger ou du kebab aux jeunes», constate Francesco Desogus, un des associés de cette mini-chaîne fonctionnant sur le système des franchises.
Aujourd’hui, le label d-livert, qui a failli être purement et simplement abandonné, a été intégré à l’offre de l’association Fourchette verte, soutenue par les cantons, très présente dans la restauration collective, mais peu dans les établissements publics classiques.
www.fourchetteverte.ch
Paru dans le quotidien La Liberté du 14.12.2012.