Pages Menu
Categories Menu

Posted on 27 décembre 2010 in Vins suisses

Suisse. — Des chasselas toujours meilleurs

Suisse. — Des chasselas toujours meilleurs

Interview d’Henri Olivier Badoux

«Les Chasselas d’aujourd’hui
sont meilleurs qu’il y a 30 ans»

Le Chasselas est devenu une affaire vaudoise. L’Aiglon Henri Olivier Badoux, président des négociants en vins suisses et de l’Office des vins vaudois, est bien placé pour situer les enjeux liés à ce cépage, même s’il a cédé la majorité du capital de sa maison de vins «au lézard».
Propos recueillis par Pierre Thomas

Que représente pour vous le Chasselas?
Pour moi, il reste le cépage suisse par excellence. C’est celui qui nous permet de nous différencier des autres productions mondiales. Grâce à toute la filière viticole, on est arrivé à produire un raisin de très haute qualité… Les œnologues obtiennent des Chasselas qui ne sont plus des vins d’apéritif avec quelques coqs du Dézaley ou d’Yvorne. Il existe toute une palette de Chasselas aux subtilités remarquables. Il a fallu apprendre à le vinifier en aiguisant ses types, où le terroir ressort. Quelle que soit la provenance des Chasselas, ils présentent tous des différences.
La vinification a-t-elle changé de manière significative?
Non seulement il y a différents types de vinifications, mais on peut cueillir le Chasselas en surmaturité ou en vendanges tardives, l’élever en cuves inox ou en grands foudres, mais encore en barriques de chêne ou d’acacia. On a pris confiance dans ce cépage, une confiance qu’on n’avait pas il y a vingt ans. Chaque Chasselas est particulier, alors que la plupart étaient, jadis, neutres et banals.
Comment les consommateurs sont-ils prêts à accueillir ces Chasselas?
Le consommateur, même lambda, compare les vins et attend des surprises du monolithe suisse qu’est le Chasselas. Cette soif de déguster fait partie de la tendance actuelle. Et il faut inciter le consommateur à découvrir autre chose, à l’opposé d’une image vieillotte d’il y a trente ou quarante ans.
La question du Chasselas est devenue essentiellement vaudoise, non?
En matière de vins, chaque canton suisse a sa spécificité. Le Valais joue la carte des spécialités à juste titre. Et Vaud apparaît comme la terre du Chasselas. Les Vaudois ne font que confirmer l’Histoire, puisque ce cépage est né dans le bassin lémanique, comme l’a démontré le généticien José Vouillamoz. Nous sommes fiers de ce produit et nous savons le faire évoluer : nous avons gardé sa grande typicité, mais nous avons augmenté sa qualité. Les œnologues peuvent en faire une grande spécialité : grâce à leur patte, les Chasselas d’aujourd’hui sont nettement supérieurs à ceux d’il y a 20 ou 30 ans.
Ne faudrait-il pas que la promotion suive?
Bien sûr, nous allons devoir démonter par des campagnes publicitaires que le Chasselas est capable d’étonner. On va travailler sur le Chasselas, cela est indispensable pour le vignoble vaudois.
A-t-il des chances de percer à l’export?
A l’heure actuelle, il faut bien avouer qu’on manque de Chasselas en Suisse. D’une part, par la modification de l’encépagement, d’autre part, à cause de récoltes bridées et faibles de ces dernières années (réd : dès le millésime 2006). Promouvoir à l’export un produit dont on a peine à satisfaire la demande sur le marché intérieur paraît contradictoire. Exporter, de plus, nécessite un effort financier… Et puis, on en expédie, même si c’est peu, au quatre coins du monde. Il faut bien le constater, aujourd’hui, il n’y a pas de volonté d’exportation.
Pourquoi ne pas faire du Chasselas le porte-drapeau des vins suisses à l’étranger?
Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire d’avoir un porte-drapeau. C’est la multitude des cépages, des terroirs, des climats qui fait la force de la Suisse. C’est ça qu’il faut montrer à l’étranger, parce que c’est très rare dans le monde du vin ! On ne peut pas se permettre de n’avoir qu’un seul cépage comme porte-drapeau. Nous devons jouer sur notre palette fantastique de cépages, comme les différents goûts dans les coffrets de dégustation de chocolat.
Ne serait-il pas plus facile d’axer la communication sur un seul produit?
On a déjà essayé d’exporter à plusieurs reprises. Cela n’a jamais déclenché un engouement. Nous devons nous profiler avec une palette de trésors plutôt qu’avec un seul…
Racontez-nous l’histoire de l’«Aigle Les Murailles»…
Les Murailles, c’est un lieu-dit, au départ, acheté par mon grand’père, en 1920. A l’époque, personne ne voulait de ces vignes perchées sur des murs. Très rapidement, dès que le peintre Frédéric Rouge a dessiné l’étiquette et son fameux lézard, il y a près de cent ans, ce vin a obtenu un grand succès. Mon grand’père a soigné d’emblée la vinification et le vin avait une bonne réputation, d’abord dans le canton de Vaud, puis à Berne. En 1939, quand mon grand’père a remis l’entreprise à mon père, le millésime était si épouvantable qu’ils n’ont pas mis en bouteilles Les Murailles. C’était un coup de génie de marketing, excellent pour la réputation.
Aujourd’hui, l’«Les Murailles», AOC Chablais, depuis le 2009, est une marque?
Dans les années 50, la législation a changé. Le Clos des Murailles est devenu Les Murailles, une sélection de nos meilleurs parchets. Sa réputation a encore grandi, grâce à sa présence dans les wagons-restaurants, pour lesquels on avait créé de petits flacons de 2 décilitres. Ce fut une excellente carte de visite. Puis, la jet-set en a bu à Gstaad, Saint-Moritz, Zermatt. On a en a même livré une caisse au Vatican — avec de l’Aigle Monseigneur (rouge). Les Murailles est devenu une marque, mais qui s’est faite au fil du temps, et n’est pas sortie d’un «business plan».
Le vin a-t-il évolué avec le temps?
Le vin a suivi l’évolution de la production et de la commercialisation. Mais ce fut une évolution douce. On y a toujours mis grand soin pour que chaque millésime soit respecté, avec ses qualités et ses défauts. Il a évolué comme tout produit doit évoluer.
S’en boit-il autant ou davantage que dans les années 1960?
Il s’en vend plus que dans les années 1960 et on le trouve aussi en grandes surfaces, comme Coop, Manor ou Globus.
Combien de bouteilles par année ? Deux, trois ou cinq cent mille bouteilles?
On n’a jamais cité de chiffres.
Une marque forte, n’est-ce pas la voie à suivre pour le Chasselas?
Oui et non. Pour sortir du lot avec le Chasselas, l’aire de production est importante ; il est plus facile de percer avec un lieu de production réputé ; ensuite, la signature du vin compte pour la confiance du consommateur ; et puis, il y a le marketing et la promotion : c’est un ensemble. Créer une marque de toute pièce, aujourd’hui, je n’y crois pas ! Je ne suis pas convaincu qu’on pourrait la faire durer dans le temps.
 

Henri Olivier Badoux

Les Badoux se prénomment tous Henri. Au prénom du dernier (49 ans) s’ajoute Olivier. Il s’est retrouvé à la tête de l’entreprise à 21 ans, puis l’a rachetée à sa famille à 30 ans. En été 2008, il a vendu la majorité du capital à la maison Obrist SA, à Vevey (contrôlée par le groupe Schenk SA). Actionnaire minoritaire, Henri Olivier Badoux est resté président du conseil d’administration. Il est aussi président de l’Association suisse du commerce des vins (ASCV) et, depuis fin 2009, de l’Office des vins vaudois (OVV), qu’il avait déjà présidé par le passé.

Paru dans l’édition en français de VINUM en mars 2010.