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Posted on 22 octobre 2016 in Tendance

Il publie un livre: Paolo Basso, l’«antiterroiriste»

Il publie un livre: Paolo Basso, l’«antiterroiriste»

Le «meilleur sommelier du monde 2013» vient de publier, avec la complicité du journaliste Pierre-Emmanuel Buss, un livre de souvenirs, d’astuces et de coups de cœur. Où ce natif du nord de l’Italie explique qu’il a toujours aimé s’exprimer en français.

Par Pierre Thomas

Il suffit de voir la ligne impeccable de ce tout juste quinquagénaire (né en 1966, donc), pour comprendre qu’il oscille entre athlète et ascète du vin. Et c’est bien l’hôtellerie et le vin, mais aussi le ski puis le vélo qui l’ont amené à aimer la Suisse, de Montana à Genève, en passant par Cully. Aujourd’hui, avec sa femme, Hélène, qui a grandi à Bâle, et sa fille, Chiara, qui porte le nom de ses premiers vins (un rouge et un merlot vinifié en blanc), il habite au Tessin. Et voyage, ce que tout le monde prend pour un plaisir et qui peut s’avérer une corvée.

Jamais trois sans quatre

Trois fois vice-champion du monde des sommeliers (en 2000, 2007 et 2010), il a fini par remporter le titre suprême à Tokyo, le 29 mars 2013, sous les acclamations d’une foule de néophytes et de professionnels. Juste récompense d’une vie consacrée à sa passion.

Distingué, diplomate, jamais agressif, Paolo Basso donne l’impression d’aimer tous les vins, d’où qu’ils viennent, et de savoir en parler sans préjugés. Dans son livre, il confirme cette image. Mais quand il s’agit de donner ses choix des meilleurs producteurs, il se cantonne (c’est la troisième partie du livre) à Bordeaux, à la Bourgogne, à l’Alsace, à la Champagne, aux vignobles suisses, à la Toscane et au Piémont. Il y donne ses références préférées et commentées : une vingtaine à Bordeaux et en Suisse, douze en Toscane, la moitié de ce chiffre au Piémont, en Alsace et en Bourgogne et huit en Champagne, la région des sponsors des concours de sommeliers, là où, chez Duval-Leroy, «ils m’ont concédé le privilège de produire ma propre cuvée».

Les bordeaux après Parker

Comme pour les guides gastronomiques, la difficulté est de ne pas passer à côté des… incontournables, tout en offrant des découvertes. Une vraie gageure ! Les textes se lisent agréablement, car cette partie est traitée en interview, rédigée par le journaliste Pierre-Emmanuel Buss, collaborateur spécialisé en vins du quotidien Le Temps. De Bordeaux, Paolo Basso affirme que «C’est un must ! Bordeaux c’est la légende !». Au restaurant Le Cygne, à Genève, puis au service de Badaracco, commerce en vins rares, le sommelier a pu déguster les plus grands crus des plus grandes années. Il regrette pourtant qu’«avec la hausse stratosphérique des prix, les grands crus classés sont malheureusement devenus inaccessibles pour le commun des mortels» et déplore que ces vins «ont fait confiance à un seul argument de vente : les points Parker». Avec sa retraite, «les choses devrait changer dans le bon sens pour les amateurs de vin».

L’homme plutôt que le sol seul

Par le choix des régions, sans la Californie et le Nouveau Monde le «meilleur sommelier du monde 2013» apparaît très respectueux des grandes régions viticoles européennes, hormis l’Espagne ou l’Allemagne, où il reconnaît dans le riesling un des grands cépages du monde, mais en Alsace, tel le Clos Sainte Hune de Trimbach. On pourrait croire le sommelier attaché à la notion, traditionnelle et aveuglante, de terroir. Détrompez-vous ! A plusieurs reprises, il le répète, comme à propos de la Bourgogne : «Que ce soit ici ou ailleurs, je n’ai jamais été convaincu par l’idée que c’est le terroir qui détermine la qualité d’un vin. Pour moi, l’homme reste le facteur déterminant. C’est lui qui interprète le terroir en faisant des choix culturaux et de vinitication.» Et encore : «L’homme fait partie du terroir , il en est même l’élément le plus important».

Il dit aussi se rattacher à l’école anglo-saxonne qui insiste sur les particularités climatiques, expliquant les qualités des millésimes. Il milite aussi pour la professionnalisation des métiers de la vigne et de la cave, notamment en Suisse, où les vignerons du samedi sont encore nombreux au Tessin et en Valais. Et plaide pour l’exportation des vins suisses : «On ne peut pas dépendre d’un seul marché, même si c’est un des meilleurs du monde. Et puis, en exportant, on ne vend pas seulement du vin. Chaque étiquette qui part à l’étranger est une carte postale.»

Le champagne à toutes les sauces

Outre ces bonnes pioches (en-dehors des grandes maisons), Paolo Basso livre des conseils sur le service et les accords mets et vins, «le point fort du métier» (de sommelier). Parfois avec surprise, comme quand il conseille sur une flammkueche un riesling alsacien avec une pointe de sucre résiduel ! Ou quand il conseille, souvent, le champagne : «En gastronomie, il est très intéressant, car c’est un des vins les plus polyvalents. Son acidité lui donne une vivacité qui allège le gras de certains plats. C’est, par exemple, un must avec du parmesan ou avec du lard séché.» Croit-on que «les plats acides s’accordent avec le champagne pour son acidité» ? «Mais c’est faux : l’accord se fait grâce au sucre résiduel, qui permet d’éuilibrer l’ensemble. On ne rajoute jamais de l’acidité à l’acidité. C’est aussi un des rares vins qui tient le coup sur des sauces à base d’œufs.» Comme sur un vitello tonnato : «C’est un très bel accord !»

Dans ses astuces, on apprécie la modération en toute chose. Faut-il une collection de verres ? «Il est tout à fait possible d’acheter un verre polyvalent. Le verre à syrah de Riedel est particulièrement bien adapté pour tous les vins rouges.» Et doit-on à tout prix s’offrir une cave de collectionneur ? «Pour 20 euros, vous pouvez acquérir de supervins. (…) Avec 300 bouteilles, on peut faire un tournus sympathique.» La modestie faite meilleur sommelier ! Tout en rappelant que «95% de la production mondiale (de vin) est consommée dans les deux ans».

«Le vin selon le meilleur sommelier du monde», Paolo Basso et P.-E. Buss, Favre, 190 pages sous couverture souple, 33 francs (le prix d’un bordeaux de mi-gamme).

Commentaire de Paolo Basso sur Facebook: «Merci à Pierre Thomas pour ce bel article qui décrit ma façon d’être mieux que je ne pourrais le faire. Très belle la finesse du titre.»

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 20 octobre 2016.

©thomasvino.ch