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Posted on 23 décembre 2015 in Vins suisses

Meinrad Gaillard, Le Vidômne, St-Pierre-de-Clages (VS) Un Valaisan à contre-temps

Meinrad Gaillard, Le Vidômne, St-Pierre-de-Clages (VS)
Un Valaisan à contre-temps

«Je fais les vins que j’aime !» Quel vigneron ne le proclame-t-il pas? Si la profession de foi ressemble souvent à une porte ouverte enfoncée, chez Meinrad et Catherine Gaillard, de la Cave du Vidômne, à Saint-Pierre-de-Clages, elle tient d’un credo original dans le terroir valaisan.

Par Pierre Thomas, paru dans le magazine Plaisirs en décembre 2015.

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Ni humagne, ni cornalin chez lui, mais des assemblages rouges, à base de raisins aussi exotiques que le sangiovese et le barbera, et le malbec et petit verdot, pour la dernière cuvée, qui vise haut. Non loin de l’église romane de Saint-Pierre-de-Clages, on est allé trouver cet iconoclaste le jour de son anniversaire — il fêtait ses 54 ans —, début août.

Son domaine n’est ni le plus ancien, ni le plus grand de la vaste commune viticole qu’est Chamoson (toujours deuxième de Suisse, derrière la genevoise Satigny). Son père cultivait quelques ceps et livrait à Provins quand, à 60 ans, en 1985, il décida d’élaborer ses propres vins, les cinq classiques valaisans, dôle, pinot noir, fendant, johannisberg et dôle blanche, sous le vocable de Cave du Vidômne, du nom du seigneur qui percevait, jadis, la dîme.

Un exotisme néo-mexicain

Son fils, alors, n’avait guère d’atomes crochus avec la viticulture, même s’il avait suivi l’école cantonale d’agriculture de Châteuneuf. Il préférait voyager ! Des périples pas toujours innocents, puisqu’il s’en alla planter 260 hectares de vigne du côté du Nouveau Mexique. De retour au pays, il suit le «cours de marchand de vin» à Changins.

Dès 1988, il double la surface du domaine, en plantant de la syrah, du cabernet sauvignon et du cabernet franc. «Il fallait oser !», lance-t-il à la table de bois mal équarri, entre l’ordinateur et les barriques de Bâton Rouge. Le vigneron-encaveur s’excuse presque de «ne pas avoir fait le pas» de se développer davantage, pour rester à trois hectares et 25’000 bouteilles, dont 65% de vin rouge.

Avec sa femme, Catherine, une ch’ti du Nord-Pas-de-Calais français, et un couple de Portugais, occupés à la tâche, il mène son esquif. Leur fils, Timothée, 20 ans, s’il a donné son prénom à un johannisberg passerillé, vient de terminer un apprentissage de maquettiste et ne paraît pas, vouloir s’impliquer dans la cave. Pour l’instant: son père n’est-il pas revenu à 30 ans ?

Le bâton dans la fourmilière

Au moment où le Valais redécouvrait ses anciennes variétés, Meinrad Gaillard prend le pari de «se démarquer à ma façon». Après le trio de cépages français, il décide, dix ans plus tard, de miser sur des cépages «non autorisés», mais tolérés sur 300 m2, par le Service cantonal de la viticulture, le barbera piémontais et le sangiovese toscan. «J’ai dis à mon père : on plante ça, mais tu ne verras pas une rondelle de carrotte pendant huit ans», raconte-t-il de manière imagée. «J’y suis allé piano. J’ai vinifié séparément, puis élevé en demis-muids de 500 litres, que je renouvèle une année sur deux. Et je me suis rendu compte que le vin supportait ses quatre ans dans le bois. J’ai même stocké le vin durant un an en bouteille, avant de le proposer à mes clients…»

Telle est la genèse de ce Bâton Rouge, sorti pour la première fois en 2001. On goûte le 2010, solaire, au léger parfum fumé, puissamment balsamique en bouche, sur une acidité due à la barbera. Un rouge exubérant, qui ne trahit pas l’origine de ses cépages : la Vallée du Rhône, soudain, est propulséee au Sud des Alpes!

Elle l’est encore davantage avec la dernière cuvée, lancée début juillet au restaurant le Fletshchorn, à Saas-Fee. Extirpé de sa lourde bouteille, l’Area parcelle 2286, millésime 2012, livre son verdict : robe noire, nez de moka, de cacao et des notes de poivre, puis de tabac ; une attaque souple, des tanins itous ; l’élégance prime la puissance. L’assemblage est, cette fois, de malbec à 85% et de petit verdot à 15%, «les deux cépages oubliés du Médoc». Le second donne au premier une assise de fraîcheur bienvenue. Certes, on est sur de jeunes vignes — c’est même le premier millésime ! —, mais l’ensemble est bien polissé par un long élevage en barriques neuves, de la ligne Elégance, du tonnelier Seguin Moreau.

Le défi du bon vin au bon moment

Meinrad Gaillard est resté fidèle à ce fournisseur. Il l’a notamment suivi sans faiblir sur la ligne Modus Vivendi, un élevage de 24 mois en barriques et 24 mois en cave, pour livrer des vins aptes à tenir dans le temps, mais qui se goûtent agréablement dès leur mise en marché retardée. On peut trouver l’empreinte de l’élevage encore trop marquée sur la pure syrah Modus Vivendi 2010 et, a contrario, très favorable à ce qui fut, au début des années 90, un «grand cru à la mode bordelaise». Le Modus Vivendi 2010, tout court, car assemblage de cépages, révèle des arômes flatteurs, de tabac, de cuir, de discret menthol, sur une matière mûre et chaleureuse, faite de 50% de cabernet sauvignon, complété par 30% de merlot, 15% de syrah et 5% de cabernet franc. Le caractère «bordelais» s’estompe grâce à la syrah, et les vignes, ici, affichent toutes plus de vingt ans d’âge. Alors que, trop souvent, on déplore que les vins rouges suisses sont servis trop jeunes — surtout au restaurant, mais les armoires à vin domestiques n’améliorent guère la situation… — Meinrad Gaillard, en prenant le mal à la racine, si l’on peut dire, a réussi le pari de livrer des vins à l’amorce de leur apogée. Un défi relevé pour des cuvées qui vont de 600 à quelques petits milliers de flacons.

On aurait tort d’en déduire que le vigneron a tourné le dos aux vins traditionnels : il propose deux fendants, une petite arvine, un johannisberg — dont Chamoson est la capitale ! —, un pinot noir, une syrah «fruit», au nez de violette, de poivre noir, et un merlot, rond, souple, frais et acidulé, «le style de vin que j’aime faire, qui a du corps et de la puissance», souligne le vigneron-encaveur. Ce merlot-là fera troisième meilleur du pays au Grand Prix du Vin Suisse 2015, derrière deux tessinois!

Sans oublier un gamay de vignes de plus d’une demi-siècle, complété d’un peu de gamaret, d’une belle personnalité en 2014, au nez un peu viandé, épicé, long en bouche, avec une note finale iodée. Qui peut le plus peut le moins : si les ambitieux assemblages rouges ont régulièrement été primés dans divers concours, nationaux et internationaux (Vinalies de Paris), ce «simple» gamay (2012) est sorti champion national au Grand Prix du vin suisse 2013.

Cave Le Vidomne,Catherine et Meinrad Gaillard

Rue du Prieuré 8, 1955 Saint-Pierre-de-Clages

www.levidomne.ch

 

©thomasvino.ch