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Posted on 7 août 2015 in Vins suisses

Histoire d’Enfer, Corin-sur-Sierre (VS)  Le rêve réalisé du Docteur

Histoire d’Enfer, Corin-sur-Sierre (VS)
Le rêve réalisé du Docteur

Sur les hauts de Sierre, un trio d’amateurs romands de grands vins, associé d’abord avec un vigneron valaisan, puis un Bourguignon, a constitué un domaine qui vise l’excellence, avec du pinot noir, du chardonnay et des cépages valaisans. Histoire d’en faire, du vin… Visite à la petite cave, en attendant un nouveau bâtiment, déjà planifié.

Par Pierre Thomas

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Patrick Regamey  (à gauche sur la photo) nous reçoit : ce Vaudois d’origine a un pied à Genève et l’autre à Crans-sur-Sierre. «Je fais 2 heures 10 de voiture le lundi après-midi, dans un sens, et 2 heures 10, le vendredi midi, dans l’autre. C’est moins que les pendulaires de la région genevoise toute la semaine !», sourit derrière ses Rayban optiques, le Dr Regamey.

La semaine, il est médecin «de famille» à Genève. Le week-end… aussi, mais à Crans-Montana. A deux pas de vignes acquises en 2008, avec ses deux partenaires, venus du monde de la finance, le Genevois James Paget et le Fribourgeois de Zurich, Alexandre Challand. Ils se sont connus en dégustant les meilleurs vins du monde. Patrick Regamey faisait partie du noyau dur du Grand Jury Européen… Les autres, entre Londres et Zurich, ont de solides caves. Et puis, un jour, la quarantaine passée, l’envie de mettre la main à la pâte est venue.

La bonne posologie

Patrick Regamey, 55 ans, est l’aîné et il se colle aussi aux tâches administratives. «Ca me prend trois heures par jour.» Osera-t-il, osera-t-il pas, franchir le Rubicon après la Raspille, et ne se consacrer qu’à la vigne et au vin ? Il l’évoque entre deux dégustations bavardes, mi-techniques, mi-hédonistes, et tranche : «Ma passion, c’est la médecine, le contact avec les gens !»

La fiche de présentation du domaine est rédigée comme un prospectus d’apothicaire. Sous effets secondaires, on y lit : «Ivresse en cas de surdosage, mais difficile à reproduire, vu la faible production !» 25’000 bouteilles d’une demi-douzaine de cuvées en blanc et davantage encore en rouge, en fonction du millésime. Et la posologie ? Avis autorisé du médecin: «L’absorption quotidienne et modérée de 2 à 3 décilitres par jour de vin diminue la mortalité cardiovasculaire par augmentation de bon cholerstérol (HDL) et apport de polyphénols antioxydants qui diminuent la transformation du mauvais cholestérol (LDL) en très mauvais cholestérol (LDL oxydé) qui se dépose dans la paroi des artères.»

Tout aussi doctement, le bon docteur, vous explique par a + b toutes les conditions de production de ses vins. Commençons par les plus improbables : des liquoreux. Terme aussi générique que l’est un médicament du même type. L’un, à base de petite arvine, sylvaner et pinot gris, est un «ice wine», enfin, une vendange très tardive. S’y ajoute un «vintage», muté comme à Porto, à base de diolinoir, très aromatique, qui va passer le temps qu’il faudra en barrique. Il ne sera disponible que dans quelques années.

A chaque millésime ses cuvées

Chaque millésime dicte son train. Même pour le fendant, pardon le chasselas, tiré du calcaire de Salquenen. Le 2013, à 800 g./m2, succède au 2012 à 500 g./m2. Le chasselas gagne en puissance, en gras et en minéralité. Contrairement aux idées reçues du kilo au mètre carré que le cépage romand supporterait sans rechigner. «Quand on baisse les rendements, on augmente les acidités et on peut vendanger plus tôt», assène Patrick Regamey. Voyons avec ce païen 2013, appelé Réserve car il a séjourné en fûts. Un vin d’une magnifique d’ampleur, au nez de mangue, d’abricot confit, avec une finale sur l’ananas, d’une belle fraîcheur. Et pourtant, ce païen a fait sa deuxième fermentation, la malolactique — « tous nos vins la font…» —, et n’accuse pas ses 14% d’alcool «couverts». Même traitement pour la petite arvine. Patrick Regamey — comme nous ! — est d’avis que le cépage fétiche du Valais ne vieillit pas au-delà de 5 à 6 ans. A moins de le traiter comme tout autre grand vin blanc, que sont le riesling et le chardonnay. Démonstration avec cette petite arvine 2012, qui oscille entre agrumes confits et miel, avec malo, et élevage discret sous bois. Et le chardonnay 2013 de «vieilles vignes» (plantée en 1971) sert d’étalon: nez de pêche de vigne, de vanille, du gras, de la puissance et de l’acidité, malgré la malo.

Du pinot… façon Bourgogne

De ses périgrinations à Bordeaux et en Bourgogne, où il échange volontiers «ses» bouteilles contre celles de ses hôtes, le médecin-caviste a ramené une intime connaissance du bois. Il ne jure que par une seule tonnellerie, Taransaud, où il va choisir ses chênes et reçoit les barriques les plus subtiles. Diolinoir, humagne et cornalin passent en fûts de 600 litres, un contenant préféré à la «pièce» bourguignonne de 228 litres.

En rouge, on jongle avec les millésimes : 2012, année «standard», avec des résultats d’une grande élégance, et 2013, tardive, plus aléatoire, puis 2014, proche de 2012, mais avec un rendement plus élevé, sous réserve d’un tri sévère après vendange. On passe d’une vinification à l’autre, avec une prédisposition pour la «grappe entière», avec rafles, sauf sur le délicat cornalin. Mais quand même sur le tardif humagne ! Et on zigzague entre les parcelles des 7,5 ha, à moitié loués, répartis entre Sierre et Salquenen : cuvées parfois parcellaires, parfois d’assemblages.

Et on termine sur une série de pinots noirs : le domaine a choisi comme emblème la lettrine D. Parce que quatrième de l’alphabet, pour le trio d’associés renforcé par le quatrième homme, le Bourguignon Benoît Paris, dès 2012. D aussi comme D…octeur ou de D… RC — Domaine de la Romanée Conti. Patrick Regamey ne craint rien en matière de comparaison. Vendus de 30 fr. à 78 fr., ses pinots évoluent dans la finesse et l’élégance, avec des nuances de fruité et de fumé. Comme si, soudain, Salquenen, d’où sont tirés les deux plus hauts de gamme, l’Enfer du Calcaire et Calcaire absolu, cessait d’être cette oasis sous un soleil de plomb et devenait un «climat» de la Côte-d’Or. Bien sûr, «un grand cru», corrige le docteur !

 Sur le web: www.histoiredenfer.ch