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Posted on 13 novembre 2014 in Vins espagnols

Rueda (Espagne) et Collio (Italie)  Vins blancs de terroir ou de cépage ?

Rueda (Espagne) et Collio (Italie)
Vins blancs de terroir ou de cépage ?

Grâce aux techniques modernes de vinification, les régions réputées chaudes peuvent produire des blancs d’une belle fraîcheur aromatique, par la maîtrise du froid en cave. A condition de disposer de deux éléments adéquats, le terroir et le cépage. Exemples par deux régions qui se cherchent en matière de styles, l’une, la Rueda, au cœur de l’Espagne, l’autre, Collio, au nord de l’Italie.

Reportages en Espagne et en Italie, Pierre Thomas

Une région, un cépage. Voilà un angle de communication clair, auquel n’échappe ni la Suisse romande et «son» chasselas, ni la Nouvelle-Zélande et «son» sauvignon blanc, ni l’Allemagne et «son» riesling, ni l’Autriche et «son» grüner veltliner… Au centre de l’Espagne, la Rueda a choisi le verdejo. Une véritable renaissance pour cette région, entre les villes historiques de Ségovie et de Valladolid, où les vignes avaient longtemps donné des jus de type oxydatif, style xérès, avant que le général Franco décide d’en faire le grenier à blé du pays en ordonnant d’arracher le vignoble dans les années 1960. Puis, raconte l’œnologue Luis Hurtado de Amezaga Hamparzoumian, dans un français cultivé à Bordeaux, son père, à la tête des héritiers du Marquès de Riscal, une des principales «bodegas» (caves) de la Rioja, au nord de l’Espagne, cherchait un endroit où «faire du blanc». Le professeur bordelais Emile Peynaud l’aiguilla plus au sud, sur la Rueda et son cépage verdejo. C’était en 1970. En moins d’un demi-siècle, la Rueda est devenue une «success story», avec 65 caves pour 13’000 hectares (surface doublée ces cinq dernières années !) et 70 millions de litres mis en marché en 2013. Et des exportations à près de 20%, où la Suisse figure au cinquième rang.

Vieux ceps centenaires de verdejo dans la région de Ségovie.

Vieux ceps centenaires de verdejo dans la région de Ségovie.

2013, année de gouille et de magouille

Hélas, la roche tarpéienne n’est jamais loin du Capitole et le ravin toujours aux portes de l’alcazar de Ségovie. Dans le «Wine Advocate», lancé par Robert Parker, Luis Gutierrez, responsable des dégustations espagnoles, a allumé la mèche en août dernier. Le millésime 2013, catastrophique, avec des vendanges sous la pluie et une attaque éclair de botrytis, a engendré des vins sans caractère, dilués, résultant de surcroît d’un rendement trop élevé. Des vins tout juste bons pour les supermarchés, qui recherchent des bouteilles à moins de 3 euros départ cave. Et le critique de paraphraser, «Lost in supermarket», le titre du groupe pop biennommé «The Clash».

On a visité les caves juste après les vendanges 2014, où les producteurs ont retrouvé le sourire, grâce à un été frais, à une maturation lente du raisin, parfaitement sain, vendangé juste avant la pluie. Mi-octobre, tous nettoyaient leurs caves ultra-modernes, et faisaient déguster leurs premiers jus déjà fermentés. A les goûter, 2013 n’est plus qu’un mauvais souvenir.

Il n’empêche. Le cahier des charges de la Rueda reste d’un flou artistique pour le consommateur lambda. Trois estampilles, collées au revers de la bouteille, sont attribuées par le «conseil régulateur», contre paiement, aux producteurs. La moins onéreuse affiche juste le mot Rueda ; la seconde, «verdejo» et la troisième «sauvignon». Le timbre officiel Rueda, sous-entendant la priorité au terroir, peut signifier à la fois que le flacon contient 50% de verdejo et 50% de sauvignon, ou tout assemblage de cépages blancs. Ou encore que le producteur fait profil bas et ne veut pas risquer la sanction d’une commission de dégustation plus sévère pour les labels verdejo et sauvignon. Et si les exigences sont telles, on pourrait imaginer que ces noms de cépage attestent, eux, de la pureté du vin. Eh bien non ! Le cahier des charges tolère un assemblage de 15% avec l’autre cépage… Et ceux qui revendiquent ce label avec un vin pur à 100% s’exposent au verdict des dégustateurs sous prétexte de non-typicité.

Pour 2013, c’est l’inverse qui s’est produt : sur injonction du président de l’appellation, la commission a vivement été encouragée à mettre la pédale douce. Trois dégustateurs (sur une quarantaine), réputés sévères, n’ont pas été convoqués. Figure historique du renouveau de la Rueda, Francisco, le père de Luis, Hurtado de Amezaga a dénoncé la magouille à la justice.

Le verdejo, grand blanc de garde ?

Malgré ces aléas, le verdejo paraît la valeur la plus sûre de la Rueda, sous réserve de l’apport supposé «améliorateur» du sauvignon (lire ci-dessous). Introduit par les Maures, c’est un très ancien cépage, peut-être jumeau du godello, à la mode en Galicie.

Chez Marquès de Riscal, le verdejo, vendangé de nuit à la machine pour un résultat de 3 millions de bouteilles, l’est à 100% : en 2013, il exhale un nez de fleurs blanches, des notes épicées et anisées, avec du gras et de la souplesse. «Les vins de la Rueda ont un énorme succès et c’est pourquoi il faut faire attention et protéger la dénomination !», affirme l’œnologue. De la même cave, cent fois moins répandu (30’000 bouteilles), le Finca Montico 2013 représente la nouvelle aristocratie du même cépage verdejo, issu de vieilles vignes en gobelet, vendangé à la main, fermenté avec des levures naturelles et élevé sur lies fines, un vin puissant, gras, tenu par une belle acidité. La «bodega» Ossian pousse ce style au plus haut niveau… Depuis 2011, Castelo de Medina, un domaine de 180 ha d’un seul tenant, au bord de la nouvelle voie du futur TGV Madrid-Lisbonne, propose aussi une cuvée passée trois mois en barriques françaises, au boisé bien digéré, avec du gras, de la finesse et un délicat arôme d’écorce de citron.

Tout à l’ouest de la Rueda, formé lui aussi à Bordeaux, le jeune Emilio José Pita, a replanté 33 hectares, dont 29 de verdejo, dans son village, Rubi de Brecamante. Ses vignes sont entourées de champs de blé… Cet élève de Denis Dubourdieu, qui a d’abord fait biologie à Pampelune, se lance dans le haut de gamme : sa cuvée Verderrubi 2013 est fine et vive, avec du gras, une pointe d’amertume, et une forme de «sucrosité sans sucre», comme il la résume. Dès 2015, il pratiquera le bio : «Il est très facile de s’y mettre ici et d’être sincère avec son terroir.» Et il vise plus haut encore avec ses cuvées «Atipyque» (sic : pour Pita en verlan et «y que !», je m’en fiche !, en espagnol) et Pita, tout court, vinifié en fûts de chêne et bientôt d’accacia. «Il faut développer un autre style de vin, un grand blanc de garde. Si Bordeaux propose de beaux sauvignons élevés en fûts, la Bourgogne, les meilleurs chardonnays, pourquoi la Rueda ne ferait-elle pas de grands verdejos ?»

Les raisins de Collio se cultivent sur les collines... sauf ce sauvignon de Tiare, tiré sur fil, au fond d'une vallée!

Les raisins de Collio se cultivent sur les collines… sauf ce sauvignon de Tiare, tiré sur fil, au fond d’une vallée!

Le Collio à l’instar du Champagne…

Bonne question ! Et ce postulat du meilleur blanc possible, une autre région l’a posé. Collio, à peine plus de 1’500 hectares (la moitié du vignoble vaudois), dans le Frioul italien, près de Gorizia, à la frontière de la Slovénie. A l’époque de l’empire autrichien, qui avait ouvert son corridor sur la Méditerrannée, le «Coglianer» était réputé. A fin mai, le consortium de tutelle de la DOC Collio a fêté ses cinquante ans. Pour son président, Robert Princic, du domaine Gradis’ciutta, «le collio devrait être comme le champagne : son nom sur l’étiquette suffirait, sans qu’on se demande ce qu’il y a dans le flacon.» D’où l’idée du consortium, il y a trente ans, de proposer sous le nom de Collio, un assemblage. «Chez moi, je le tire de mes plus vieilles vignes, les meilleures de chaque cépage et de chaque parcelle», explique le président. Trois cépages locaux lui donnent son identité: la ribolla gialla, pour la fraîcheur, la malvoisie d’Istrie, pour le fruité, et le friulano (ex-tocai), pour la structure. Depuis 2009, Princic propose même un «riserva» pour le haut du panier.

Mais il y a de la résistance dans l’air. Cet assemblage, reflet d’un terroir et de ses cépages, doit régater face à des vins monocépages toujours plus envahissants. Et voilà que le pur friulano, la pure ribolla gialla et l’inévitable pur sauvignon blanc (lire ci-dessous) sont tout aussi réputés, voire davantage, que l’assemblage. La faute à une définition peu claire du «grand vin»… comme dans la Rueda : sur l’étiquette, le cépage peut être mentionné, suivi de Collio DOC, ce qui dévalue en quelque sorte le Collio, comme le Rueda Verdejo dévalue le Rueda tout court.

Une définition très libre

«Chacun fait comme il veut», constate Matijaz Tercic. Lui a préféré jeter son dévolu sur le chardonnay pour sa cuvée élevée en barriques, «Planta» : «Pour se battre contre les grands vins de Californie et de Bourgogne, il faut construire un cru capable de s’améliorer dans le temps !» De son côté, Roberto Snidarcig frise la provocation en proposant son Collio «Rosemblanc» à base de pinot blanc (60%) et de traminer (40%), aromatique et riche, au léger boisé. Et le grand domaine Livon renverse aussi les priorités. Dans le «Braide Alte», la cuvée haut de gamme de la maison tout juste cinquantenaire, 15% de picolit et 5% de muscat jaune, apportent la touche locale, dans un blanc, mi-sauvignon, mi-chardonnay, vinifié en barriques neuves de chêne de l’Allier (France). Un vin qui n’a droit qu’à l’appellation générique IGT delle Venezie, mais qui est servi, en first et business class de la compagnie Emirates… De la même cave, Livon, le sauvignon blanc Valbuins 2013 n’est pas mal non plus, dans un style aromatique, et le friulano 2012, appelé avec ironie Manditocai (adieu tocai, nom prohibé pour ne pas faire de l’ombre à la région hongroise homonyme…), riche, puissant, sur des arômes mûrs de pêche et d’abricot, à haute teneur d’alcool (14,5% !).

On peut donc conclure, de la Rueda à Collio, que les vins blancs loin de s’aligner sur une couleur neutre et uniforme, s’avancent au contraire, polymorphes et contrastés, malgré les ambitions régionales légitimées par des législations rigides… en apparence seulement.

Pierre Thomas, Collio (mai) et Rueda (octobre)

A Russiz Superiore, on est loin du paysage du plateau de Ségovie...

A Russiz Superiore, on est loin du paysage du plateau de Ségovie…

 

Quand le sauvignon universel brouille les cartes

Entre 2000 et 2010, la surface de sauvignon a presque doublé dans le monde, passant de 65’000 à 110’000 hectares. Le cépage, originaire de la Loire, où François Rabelais le citait sous son ancien nom de «fier», se place au troisième rang des variétés blanches les plus plantées sur la planète, derrière l’airén, fleuron méconnu et productif de La Mancha, en forte régression, et le chardonnay mondialisé (200’000 ha) et devant le trebbiano toscan (110’000 ha).

Dans la Rueda, il a été introduit par Marquès de Riscal sur les conseils de feu le professeur Denis Boubals, il y a 40 ans (1974). Il est réputé «cépage améliorateur», donc toléré à 15% dans le verdejo. Ce dernier est une des variétés qui a connu la plus forte croissance au monde, passant de moins de 4’000 ha à 17’000 ha, soit davantage que le viognier (de 3’000 ha à 11’500 ha), selon une recherche de l’université d’Adelaïde (Australie), citée par le «Schweizerische Weinzeitung» (septembre 2014). Dans la Rueda, à 95% plantée en blancs, le sauvignon représente quelque 1’500 ha, mais ses raisins sont mieux payés que le verdejo (85% de la surface).

A Collio, le sauvignon blanc est lui aussi à la mode ! Il est présent depuis la fin du 19ème siècle, quand l’agronome fondateur de Villa Russiz importa des cépages français. Ce domaine en produit toujours une cuvée puissante, qui se révèle «pétrolée» et épicée, comme ce Sauvignon de La Tour 1999, dégusté au domaine ce printemps. Le sauvignon brouille encore les pistes quand les vignerons affirment qu’il n’y a de bon raisin que sur les collines de Collio. Revendiquant «ne rien faire comme les autres», Roberto Snidarcig, au domaine Tiare, cultive son sauvignon en fond de vallée, là où, en terre argileuse, l’eau ne manque jamais. Et ça lui réussit, puisque son Sauvignon Collio DOC 2013, au nez végétal, souple, vif, frais et typé du cépage, a décroché le trophée du «meilleur sauvignon non boisé» au Concours Mondial du Sauvignon 2014 (750 vins jugés, provenant de 473 caves de 21 pays). Trois autres vins de la même région et quatre vins de la Rueda (et un seul suisse, L’Aiglette 2012, de la Cave de Genève) y ont remporté une des 69 médaille d’or.

La cinquième édition de cette compétition, rejeton du Concours mondial de Bruxelles, se déroulera, du reste, dans la région du Frioul-Vénétie Julienne, à la Villa di Toppo Florio à Buttrio, du 22 au 23 mai 2015. Les événements prévus en marge de la manifestation se tiendront, quant à eux, à la Villa Nachini Cabassi à Corno de Rosazzo.

Et si, au prochain tour, le concours se tenait à Valladolid, au cœur de la Rueda ? (PTs)

Sur le net : www.cmsauvignon.com

©thomasvino.ch