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Posted on 6 novembre 2014 in Tendance

Le film d’action du vin suisse  «Coupez, c’est mauvais !»

Le film d’action du vin suisse
«Coupez, c’est mauvais !»

Vendanges 2014 passées, les vignerons font le gros dos et sortent leurs griffes. Il fallait les voir l’autre jour (5 novembre) à Yvorne, vilipender la presse trop curieuse sur les affaires qui secouent le vignoble suisse depuis des mois. Des journalistes qui feraient mieux d’aller enquêter ailleurs ! Et quoi encore ? 99% du vin suisse est bu par les Suisses et les touristes de passage. Qui consomment aussi, bien sûr, plus ou moins 5% des côtes-du-rhône, des chiantis, des châteauneufs-du-pape, des riojas, produits, un chiffre certes considérable. Mais ce sont des vins importés en Suisse par des maisons suisses, qui font confiance à des acheteurs suisses.

Et on passe la pommade en diapositive quadrichromie à la même presse qui brosse un tableau idyllique d’opérations de promotion aux Grisons, au Japon ou à Saint-Pétersbourg !

Et puis, n’allez pas parler de coupage. Car vous voilà immédiatement taxé de n’avoir fait «aucun discernement entre vin d’AOC et vin de pays», alors, que précisément, il a fallu rappeler au professionnel commis d’office au micro de la RTS que les vignerons ont bien dû accepter l’arbitrage de la Confédération pour les «vins de pays», même s’ils gardent la main hautement fédéraliste sur les AOC. On peut même entendre ici que le président de la Commission interprofessionnelle du vin vaudois dit : «Exact !» (à écouter ici)

En fin d’émission, l’ex-conseiller d’Etat neuchâtelois Fernand Cuche, pour appuyer l’idée de s’entendre sur un cadre légal minimum, transparent et lisible entre les AOC cantonales, prend exemple sur l’AOP Gruyère. Pour conclure: un même cahier des charges appliqué dans un large périmètre donne des résultats gustatifs différents selon les lieux de production. Simple bon sens et rien de plus. Et nous voilà accusé, par le président ad interim de la Fédération suisse des vignerons, de plaider pour des vins intercantonaux. Un vrai gag !

Mais qui permet de revenir sur le sujet tabou du «coupage» dans le vignoble suisse.

Rappelons aux amnésiques qu’au début des années 1990, le droit de 10% de «coupage fédéral», appelé aujourd’hui «coupage origine», a été concédé par l’Europe comme si la Suisse n’était qu’une seule AOC. Et surtout pour remplacer le coupage des vins suisses avec des vins étrangers. Cette tolérance ne posait aucun problème au négoce suisse, mais gênait les Européens, qui la jugeaient néfaste pour leur image à eux, orientée vers un renouveau des AOC. Un comble donc : les «vins médecins» de France et de Navarre, achetés à vil prix, étaient censés donner couleur et corps aux vins suisses vendus à des prix suisses, bien entendu !

Pour une fois, l’hôpital ne se fichait pas de cette charité-là. C’était il y a 25 ans. Au début des AOC suisses — alors que les premières, en France, remontent aux années 1930, en Italie, aux années 1960. Depuis, les vignerons suisses ont adopté leurs propres AOC, étendues à tout le vignoble, et baissé leurs rendements ; les cépages autochtones colorants et améliorateurs que sont le garanoir, le gamaret, le mara, le diolinoir, le galotta, ont prospéré grâce au réchauffement climatique, permettant aussi une meilleure maîtrise de la date des vendanges et, par le biais de caves bien équipées, l’élaboration de vins toujours meilleurs. Merci et bravo !

Mais quel vigneron vaudois viendra se vanter aujourd’hui d’avoir incorporé 10% de vin rouge suisse, valaisan, tessinois ou genevois, dans son vin en AOC régionale ou muni d’un nom de village ? La loi actuelle le lui permet. Pourquoi s’en priverait-il… si le voisin le fait? Et s’il ne le fait pas, pourquoi alors maintenir une tolérance inappliquée ?

Sur ce chaud débat, il faut lire les experts praticiens. Dans Le Temps du lundi 2 novembre, le jeune œnologue du principal producteur de vins romands défend les assemblages, outil nécessaire au praticien dans sa cave. Le journaliste n’entre pas dans les détails. Mais cite, en guise d’exemple, 10% d’assemblage de millésimes qui améliore la qualité un vin. C’est le moins contesté de tous les assemblages. Et pourquoi 10% ? Dans le vin vaudois, comme dans le reste du monde, aujourd’hui c’est 15% autorisés !

L’autre jour, dans Le Nouvelliste, le jeune patron du plus grand ensemble de domaines privés du Valais se lançait courageusement dans la défense de l’assemblage. Rien de tels que des chiffres pour illustrer la démonstration. On cite texto : «Qui s’insurge que l’on mette 50 litres d’une bonne heida dans 950 litres d’arvine parce qu’en cave, il n’y a qu’une cuve de 1’000 litres disponible. Au final, personne ne le sent et le vin peut être parfaitement conservé.»

Vous avez bien lu : coupage de 5% avec un cépage très proche gustativement de la petite arvine. Sauf que, à l’exception du fendant, c’est 15% de n’importe quel cépage dans une AOC du Valais. Donc, par exemple, 15% de fendant ou de johannisberg, payé vil prix au producteur, dans de la petite arvine, vendue soit plus chère par le négoce, soit à prix cassé — et en qualité amoindrie — par ce même négoce. Sans compter que, jusqu’ici, une petite arvine récoltée à 500 grammes au mètre carré, assemblée à de l’heida, récolté sur une parcelle égale, à 1,5 kilo au mètre carré, et dépassant donc le quota, permettait d’annoncer fièrement 1 kg au mètre carré. Une largesse de vue à la louche — en terme technique, ça se nomme «la globalisation des acquits par couleur» et spécialités — auquel le Conseil d’Etat valaisan veut mettre fin : il l’a annoncé cette semaine.

Et parlons donc du chantier qui attend les AOC vaudoises. Rien que dans les possibilités de coupages et d’assemblages tolérées dans les AOC, le «cas vaudois» prend 15 rubriques — record suisse ! — de formules de «dosages» différents dans un tableau établi par le Contrôle suisse du commerce des vins, «informations de nature purement informelle et fournies sans garantie» (sic !).

Au détour de son rapport annuel, de Philippe Herminjard, secrétaire de la Fédération vaudoise des vignerons, écrit, au conditionnel, qu’«il pourrait s’agir d’une réforme profonde qui risque de secouer les milieux viticoles. Les principaux axes de la feuille de route de la CIVV sont :

1) l’adaptation aux besoins du marché des surfaces des aires de production,

2) le contrôle des volumes produits à la vigne,

3) la révision de l’assemblage 60/40 pour les lieux de production.»

Les points 1 et 3 sont directement liés : il s’agirait d’agrandir les aires d’appellation «village» (les Vaudois les appellent «lieux de production»), une solution esquissée en 2009 et contre laquelle l’AOC Féchy s’était battue, avec un perfide succès. Et le point 2, eh bien, une bonne partie des viticulteurs vaudois n’en veulent pas, ce qui permet de dire aux Valaisans que, malgré aucun lien de communication entre le cadastre viticole (du ressort du Service de la viticulture) et les quantités produites (sous contrôle du Laboratoire cantonal) — un hiatus administratif proprement stupéfiant —, ils sont «les seuls au monde» (sic !) à procéder à des contrôles annuels dans les parcelles du vignoble, en été, pour éviter des excès de rendement à la vigne. Et de plaider pour une «banque de données» permettant une transparence d’informations, moyen qui avait été proposé quelques jours avant, au niveau fédéral, par un fonctionnaire… vaudois.

On le voit : y’a du boulot et du grain à moudre de Brigue à Satigny, en passant par Chamoson, Yvorne, Epesses, Féchy et en dépassant la notion inégale de grand cru, ou plutôt d’esprit de clocher! (Pierre Thomas)

Lire le tour des popotes fait par Pierre-Emmanuel Büss, dans Le Temps daté du 13 novembre 2014: ça avance, en ordre dispersé, mais ça avance

Sur 10 ans, les vins suisses ont bien résisté !

On a comparé les chiffres de la consommation des vins en Suisse (rapport de l’Office fédéral de l’agriculture), entre 2004 et 2013, sur dix ans.

Les voici :

— en 2004, la consommation était de 283 millions de litres, répartis en 87,4 mios de litres de blancs, dont 57,5 mios de blancs suisses et 29,9 mios de blancs étrangers et 195,4 mios de rouges, dont 54,8 mios de rouges suisses et 140,7 mios de rouges étrangers ;

— en 2013, la consommation était de 272,5 millions de litres (— 11 mios), répartis en 89,6 mios de litres de blancs (+ 2,2 mios), dont 53,3 mios (— 4 mios) de blancs suisses et 36,3 mios (+ 7 mios) de blancs étrangers et 183 mios de rouges (- 12 mios), dont 53,6 mios (— 1,2 mio) de rouges suisses et 129,3 (— 10,4 mios) de rouges étrangers.

Conclusion : la baisse de la consommation de vin en Suisse sur dix ans s’est faite principalement au détriment des rouges étrangers !

©thomasvino.ch