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Posted on 21 août 2014 in Tendance

Le Valais vitivinicole se donne à voir

Le Valais vitivinicole se donne à voir

Fin août, deux expositions s’ouvrent dans les Coteaux de Sierre. L’une le 27 août, sur le cornalin, au Château de Vaas, non loin de Montana-Crans, l’autre le 29 août, sur «Etre vigneron en Valais», au Musée de la vigne et du vin de Sierre, juste à côté du Château de Villa. Les deux méritent l’étiquette de projets d’anthropologie vitivinicole. A Vaas, l’inauguration de l’expostion permanente précède la 9ème édition du Temps du Cornalin, le samedi 20 septembre, autour de l’église de Flanthey.

Par Pierre Thomas

L’ampélologue — savant de la vigne — et généticien — son titre de doctorat — José Vouillamoz, défenseur du retour au nom de «rouge du pays», pour le cornalin, figure parmi les scientifiques qui ont monté une exposition permanente dans la Maison des Cornalins, déjà ouverte par une œnothèque et un carnotzet l’an passé, avec le géographe et professeur honoraire de l’université de Genève Antoine Bailly, coordinateur, et Giulio Moriondo, spécialiste des cépages rares de la vallée d’Aoste, et les vignerons-encaveurs locaux, Nicolas Bagnoud et Charly Emery.

Le Château de Vaas, restauré et devenu dès 2013, la Maison des Cornalins

Le Château de Vaas, restauré et devenu dès 2013, la Maison des Cornalins.

Le neyrum de 1313

Ce fameux «rouge du pays» n’a pris le nom de cornalin qu’à la suite d’un concours, en 1972, en Valais. Le cépage a déjà été identifié en 1313 dans le fameux Registre d’Anniviers sous le nom de «neyrum». Mais, des recherches ampélographiques selon la technique de l’ADN, ont démontré qu’il est indubitablement originaire de la Vallée d’Aoste (où le nom local de cornalin désigne, lui, l’humagne rouge valaisan). Les initiateurs de ce projet, réunis dans l’association Château de Vaas, fondée en octobre 2008, précisent qu’«il ne s’agit pas d’un nouveau musée de la vigne et du vin, mais d’une maison vivante, contribuant au tourisme doux, associant dégustations de produits locaux et découverte d’un cépage méconnu. Tous les étages y contribuent» de manière moderne avec des panneaux, des photos, des moniteurs TV, à destination autant de l’amateur éclairé que du néophyte.

Le vigneron se rebiffe

Un peu plus bas, à Sierre, le Musée de la vigne et du vin, dirigé par Anne-Dominique Zufferey, est à mille lieues d’une collection figée dans le temps… Chaque année, sur le thème de sa spécialisation, on y présente une exposition temporaire, appuyée par une publication. Du 30 août au 30 novembre 2014, on y apprendra «de visu» ce que veut dire «être vigneron en Valais» aujourd’hui. Ce thème s’est imposé autour de la désignation, par le Grand Prix du Vin Suisse, d’un «vigneron de l’année». En sept éditions sous cette formule, un seul, le Schaffhousois Stefan Gysel, répondait à la définition, les autres, Diego Mathier Nouveau Salquenen et Provins-Valais, chacun deux fois, et les Tessinois Meinrad Perler-Agriloro et Tamborini, étant plus importants, entre coopérative et négociants, qu’un vigneron-encaveur. Depuis cette année, le titre national s’est modifié en «cave de l’année», et sera attribué à Berne le 21 octobre, lors d’un gala, selon des modalités qui devraient ne pas défavoriser un «petit» qui n’aligne pas une pléïade de vins dans l’espoir de décrocher le titre…

Une anthropologue, Mélanie Hugon-Duc, collaboratrice à temps partiel du Musée valaisan depuis 2011, s’est donc intéressée de près à ce que les acteurs valaisans eux-mêmes entendent par le mot de vigneron. Vingt personnes, de l’ouvrier vigneron, Haki Kabashi et Daniel de Matos, au consultant, ex-directeur de Provins, Jean-Marc Amez-Droz, en passant par le jeune chef de culture de Provins, Samuel Panchard, et des encaveurs, comme Olivier Mounir, de Salgesch, ou Josef-Marie Chanton, de Viège, et des vignerons, comme Marc-Henri Cottagnoud, à Vétroz, ou encore des vignerons-encaveurs, comme Marie-Thérèse Chappaz et Didier Joris, et de jeunes œnologues, telles Sarah Besse et Madeleine Mercier.

Une galerie de portraits mise en lumière dans un livre de 128 pages, illustré par les portraits de Bertrand Rey, un photographe aux images toujours originales, et les paysages viticoles de Jean Marguelisch (coédition du Musée et Infolio).

Un métier récent qui se professionnalise

Pour le Musée, c’est aussi l’occasion de rappeler quelques chiffres. En Valais, plus d’une famille sur trois est concernée par la viticulture. Quelque 22’000 propriétaires se partagent les 80’000 parcelles qui forment le plus grand vignoble de Suisse, avec un peu moins de 5’000 hectares. Il y a cinq ans, le rapport sur l’état des lieux et les perspectives de la vitiviniculture valaisanne affirmait que 12’500 exploitations comptent moins d’un hectare, pour 800 de plus d’un hectare. Néanmoins, les 70% du vignoble sont travaillés par des professionnels, le «vigneron du samedi» tendant à disparaître, parce que la vigne «ça eût payé, mais ça ne paye plus»…

Le métier de viticulteur en Valais est récent : jusque dans les années 50, le Valaisan était poly-agriculteur. Selon le rapport de 2009, ils étaient encore 23% dans ce cas, pour 29% de viticulteurs, donc une légère majorité (52%) de livreurs de raisin, pour 16% de négociants et 33% de vignerons-encaveurs. «De plus en plus exigeant et de moins en moins rentable, le travail de la vigne est délaissé par les amateurs. Les vignerons du samedi vieillissent et ne trouvent plus de relève au sein de leur famille. De nombreux particuliers ne travaillent pas les vignes héritées», constate le travail anthropologique. Et, dit l’ouvrier vigneron vétrozien Daniel de Matos : «Aujourd’hui, dans le monde de la vigne, tout le monde se plaint : les caves, nous, tous ! Quand on nous paie le kilo de raisin moins cher que le déci au bistrot, c’est qu’il y a un problème.» Et le dossier de presse de prophétiser : «La revalorisation du vigneron, en tant que premier acteur de la chaîne du vin, semble inéluctable.» Plus facile à écrire qu’à réaliser, quand 70% des vins se vendent, en Suisse en supermarché et que l’acheteur (et non le fournisseur) dicte ses prix.

Et voici (re)venu Le Temps du Cornalin !

Samedi 20 septembre, de 10 h 30 à 21 h., autour de l’église de Flanthey, se tiendra la dégustation publique du Temps du Cornalin. Cette neuvième édition réunira douze vignerons-encaveurs du lieu, réunis dans une association fondée en 1996 (qui commercialise la moitié des vins du lieu).

Les hôtes invités cette année sont des voisins, cinq vignerons-encaveurs d’Ollon, Valais, à ne pas confondre avec ceux du Chablais vaudois ! Les uns et les autres feront découvrir leurs cornalins, mais pas que… Pour Corinne Clavien, œnologue cantonale valaisanne, le millésime 2013, qui «restera dans les mémoires comme une année tardive avec de très faibles rendements, offrant au cornalin de la concentration, du fruit et de la fraîcheur», trois qualités reconnues au «rouge du pays».

En 1952, le cornalin faillit disparaître : il n’était plus cultivé officiellement que sur les communes de Granges et Lens, où il donna respectivement 5’000 et 4’500 litres de vins. A Flanthey, on en trouve aujourd’hui un peu plus de 2 ha, pour 128 ha en Valais (loin derrière le pinot noir, 1597 ha, le gamay, 623 ha, mais moins loin de la syrah, 160 ha et de l’humagne rouge, 135 ha, et devant le gamaret et le merlot, 104 et 102 ha). Rappel : il y a 25 ans, en 1991, le cornalin ne représentait plus aue 14 ha, répartis en neuf parcelles et 69 treilles…

La visite-dégustation est conditionnée par l’achat d’un verre à 20 francs. Le gibier sera doublement à l’honneur : d’abord, pour un des premiers repas qui lui est dédié, ensuite par une exposition au centre scolaire du village sur «Les ravages du gibier», qui s’attaque à l’agriculture et à la viticulture. Sinon, raclette et musique…

Sur le net :

www.chateaudevaas.ch

www.museevalaisanduvin.ch

www.letempsducornalin.ch

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 21 août 2014.

©thomasvino.ch