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Posted on 12 septembre 2013 in Tendance

Le chasselas soluble dans le miso

Le chasselas soluble dans le miso

Cinq jours durant, du 1er au 5 septembre 2013, 14 vignerons vaudois, cornaqués par le président de l’Office des vins vaudois, Pierre Keller, sont allés faire déguster du chasselas au pays des sushis. Verdict : le blanc lémanique se marie idéalement avec la cuisine japonaise. Retour sur une semaine nipponne.

De retour du Japon, Pierre Thomas (texte et photos)

Ils avaient choisi l’heure et le lieu de leur arrivée. Le 1er septembre 2013 au matin à l’Hôtel Imperial. 90 ans, jour pour jour, heure pour heure, après le grand tremblement de terre qui détruisit Tokyo en 1923. Le même jour, l’Hôtel Imperial, reconstruit dans un style maya par l’Américain Frank Lloyd Whright, ouvrait ses portes.

On dit les Japonais encore peu familiers des vins, pourtant les enseignes de vente ou de dégustation se multiplient au cœur de Tokyo.

On dit les Japonais encore peu familiers des vins, pourtant les enseignes de vente ou de dégustation se multiplient au cœur de Tokyo.

Le lendemain de leur arrivée, lundi, au même endroit, les 14 producteurs présents (dont une forte cohorte d’Artevitis : Louis-Philippe Bovard, Pierre-Luc Leyvraz, Raymond Paccot, Philippe Gex, Uvavins) se demandaient qui serait présent à leur dégustation. Les Japonais partagent avec les Suisses, entre autres choses, la ponctualité. Et ils étaient suffisamment nombreux pour qu’on se bouscule dans une salle au troisième étage de ce cinq étoiles tokoyiote, dans le quartier luxueux de Ginza. L’affaire était bien emmanchée, pour le plus grand plaisir de Pierre Keller, président de l’OVV (35’000 francs mis à disposition et 65’000 francs de parrainages supplémentaires, sans compter Hublot). Et tout s’est enchaîné avec force «kampai» (santé !).

Pierre Keller fait snaté avec le patron d'une maison d'informatique et importateur de vins suisses, M. Tsuji.

Pierre Keller fait «kampaï» avec le patron d’une maison d’informatique et importateur de vins suisses, Hidenori Tsuji.

«Chasselas is nothing», mais…

Les producteurs sont allés trouver, qui leur importateur, qui manger «en privé» chez un admirateur de Frédy Girardet (et de Bocuse et autres tenants de la «nouvelle cuisine»), Kiyomi Mikuni, chef japonais reconnu.

Le soir, place aux «people», au restaurant de Michel Troisgros, dans un des Hyatt de la capitale, qui compte davantage d’étoilés Michelin que Paris ! Le temps, pour l’auteur japonais Katuiyuki Tanaka«Il sait tout du vin», m’assure un ami japonais de Paris – de lancer en anglais «Chasselas is nothing…», pour mieux souligner que le climat, le terroir, l’esprit du lieu et des gens, font davantage pour le vin blanc vaudois que le cépage au sens premier. Certains ont tout de même failli en avaler leur cravate et n’en revenaient toujours pas de tant d’insolence quelques jours plus tard.

Dans un bar à sushis du marché aux poissons, de g. à dr., Pierre Thomas, Katuiyuki Tanaka et Chandra Kurt, trois auteurs d'ouvrages sur le vin...

Dans un bar à sushis du marché aux poissons, qui cèdera sa place aux infrastructures pour les JO de 2020, de g. à dr., Pierre Thomas, Katuiyuki Tanaka et Chandra Kurt, trois auteurs d’ouvrages sur le vin…

Le Japonais se lève et se couche tôt: au Pays du Soleil Levant, la nuit tombe vers 19 h… Au Palace de Tokyo, mardi, Hublot faisait sa «night», ouverte aux «happy fiews» dignes de l’horloger nyonnais et de Jean-Claude Biver, son président jusqu’à la fin de la l’année. Le temps pour lui de confier à quelques vignerons que sa «retraite», il va la passer non pas sur son alpage à fromage ou auprès de son charmuz de chasselas, mais dans un domaine viticole de Saint-Tropez, qu’il vient d’acquérir, à côté de sa villa.

Il faudra y retourner !

Mercredi soir, la cohorte, toujours en tenue officielle, pantalon noir, chemise blanche et tablier noir aux armes de l’OVV, mettait le cap sur la résidence de l’ambassadeur de Suisse, Urs Bücher, présent à tous les rendez-vous. Pierre Keller faisait d’une pierre deux coups : vendredi, il signait une convention sur le design, pour faciliter le travail des Suisses au Japon et, réciproquement, des Japonais en Suisse.

 

Philippe Gex et une dégustatrice: attention, rouge sur blanc, tout fout le camp!

Philippe Gex et une dégustatrice tentent le diable: rouge sur blanc, tout fout le camp!

Pour les producteurs, unanimes, des plus assidus par l’exportation au Japon, comme Cyril Séverin, du Domaine du Daley sur Lutry, ou Eric Bovy, de Chexbres, ainsi qu’Alain Leder, directeur adjoint de Schenk, et Sylvie Camandona, directrice commerciale d’Uvavins — ces deux «grands» exportant des vins dès l’entrée de gamme, pour Uvavins, le Japon étant même, avec 11’000 bouteilles, le plus gros marché à l’export!  —, l’opération mérite d’être renouvelée pour assurer un suivi chez les importateurs et les prescripteurs.

Ceux-ci sont souvent des femmes passionnées par le vin comme Akemi Sugiyama et Takko Inoué, ou des hommes conquis par le chasselas, comme Hidenori Tsuji, un importateur de cinq vignerons parmi les meilleurs, et Katuiyuki Tanaka. Pour ce dernier, c’est clair : le chasselas se démarque des chardonnays et des sauvignons et sa discrétion aromatique laisse s’exprimer toute la finesse d’un sashimi ou d’un sushi apprêtés à la seconde avec du poisson ultrafrais ou rassis, comme le thon rouge. Et il faut voir à l’œuvre un «master sushi» comme Shinji Kanesaka pour s’en convaincre. Même si, ce midi-là, le jeune chef (41 ans, 23 ans de métier) admettait que pour la variété de sushis, un seul vin ne suffit pas : il faudrait développer les accords mets-vins. Sans oublier le thé vert, les sakés, les bonnes bières et même les whiskies locaux.

Pour le virtuose des sushis, Shinji Kanesaka , un thon de qualité doit pouvoir être gardé 10 jours, ses fibres s'assouplissent et il perd son goût sauvage.

Pour le virtuose des sushis, Shinji Kanesaka , un thon de qualité doit pouvoir être gardé 10 jours, alors, ses fibres s’assouplissent et il perd son goût «sauvage».

L’OVV pourrait remettre ça prochainement, puisqu’au début février 2014 (dans cinq mois !), l’ambassade de Suisse organise des festivités pour célébrer les 150 ans de relations diplomatiques avec le Japon. Elle cherche des appuis, aussi viticoles. Affaire(s) à suivre, comme on dit, si les Vaudois veulent dépasser les 40’000 bouteilles exportées jusqu’à cet archipel du bout du monde tombé sous le charme du chasselas. La Société des exportateurs, SWEA, paraît bien placée pour jouer ses atouts à Tokyo: en montant une opération au bénéfice de toutes les régions du pays, elle obtiendrait aussi le soutien de la Confédération. Et il n’est pas interdit de penser plus loin, aux Jeux olympiques d’été de 2020, que Tokyo vient de décrocher, au détriment de Madrid et d’Istambul. Car c’est aux JO de Londres, aussi, que la gastronomie et les vins suisses ont commencé à pointer leur nez…

Version longue d’un article publié dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 12 septembre 2013.

©thomasvino.ch