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Posted on 9 janvier 2005 in Vins suisses

Vaud — Arte Vitis, porte-drapeau des vins vaudois

Vaud — Arte Vitis, porte-drapeau des vins vaudois

Arte Vitis, les porte-drapeaux des vins vaudois
Comme les apôtres, ils sont douze. Ensemble, ils vont défendre l'idée qu'ils se font du vin vaudois. Une haute idée pour des vins mis au pluriel, sans renier le chasselas.
Par Pierre Thomas
Présentée à Zurich, l'été passé, comme la «révolution vaudoise», la démarche ne dément pas les savants dosages qui procèdent, dans le canton de Vaud, à toute décision mûrement réfléchie. La pire crainte du petit groupe, c'est de passer pour des «y'en a point comme nous», autoproclamés les meilleurs du pays… Il faut donc prendre le raisonnement à l'envers. A supposer qu'on demande à un connaisseur du vignoble vaudois de désigner une douzaine d'hommes (mais où sont les femmes?) symbolisant, chacun dans sa région, à la fois la tradition et l'inventivité, qui aurait-il cité? Pris d'ouest en est, de La Côte — la plus vaste région viticole vaudoise — au Chablais, cette équipe-là se jusitifiait pleinement. Démonstation.
Ceux de La Côte
Bien sûr, le vignoble vaudois ne commence pas à Féchy, mais Raymond Paccot, souvent en avance sur son temps, parce qu'il est allé voir ailleurs — en Californie —, avant de reprendre les vignes paternelles. Lui qui cisèle des réserves de chardonnay, de pinot gris et de pinot noir bichonnées en barriques, réussit tout autant ses chasselas «de base». Et surtout, de terroir: il est le seul à ce jour de sa région à avoir remporté la Coupe Chasselas, en 1995. Ensuite, Raoul Cruchon, un véritable entrepreneur qui, avec père et frère, a réussi à fédérer les vignerons de Morges dans une association de promotion (l'APAMO) qui a fait école, puis dans la démarche qualitative de redécouverte d'un cépage oublié, le servagnin. Entre autres spécialités, comme l'altesse, savoyarde, et le viognier, rhodanien, qui font éclater les frontières. Le voilà qui embrasse, aujourd'hui, la cause de la biodynamie: une manière de cultiver la vigne plus respectueuse de la nature.
Avant d'embrasser une carrière académique à Changins — c'est tout neuf! —, Philippe Corthay est et restera l'âme des vins de la grande coopérative UVAVINS, qui récolte ses raisins de la Terre Sainte à la Venoge. Avec le chef de cuisine Bernard Ravet, il a développé une ligne de vins de haute expression, du chasselas sur lies à des liquoreux d'anthologie. Peu connu du public, Philippe Charrière montre que le canton de Vaud, sur son domaine de Marcelin-sur-Morges, n'a jamais boudé les essais viti-vinicoles: ni dans la plantation de nouveaux cépages (gamaret, garanoir, en rouge, doral, charmont, en blanc), ni dans la vinification, y compris le chasselas en fûts de chêne authentiquement vaudois…
Des Côtes-de-l'Orbe à Lavaux
Christian Dugon, de Bofflens, au-dessur d'Orbe, a tiré l'arrière-pays vaudois de l'indifférence: ses rouges vont à l'essentiel, du gamay au gamaret. Sans oublier, tour de passe-passe étonnant, un vin liquoreux stupéfiant, l'Ambre, tirée du confidentiel doral, appelé un jour à jouer un rôle de premier plan dans le vignoble vaudois. Du moins, dans un duel gustatif, sur le thème de l'adéquation terroir-cépage, a-t-il terrassé le viognier, récemment.
Venons-en à Lavaux, puissamment représenté, certes, mais pas forcément par ceux qu'on attend… Leur père, à toute cette bande, c'est un peu Louis-Philippe Bovard, de Cully, blanchi sous le harnais des grandeurs et misères de la viticulture vaudoise. Plus il avance dans le temps, plus il fourmille d'idées: l'étude d'une définition de grands crus, relayée par l'étude des terroirs, mais aussi le lancement, par la maison Riedel, d'un verre spécialement étudié pour boire — et pas seulement déguster, hein! — le chasselas. Lui, Bovard, croit aussi au sauvignon et au chenin, parce que, au bord du Léman, le climat n'est finalement pas si différent de la Loire…
L'autodidacte Henri Chollet fait un peu figure de professeur Tournesol: alors que les autres perpétuaient la tradition familiale, il a constamment innové. Certains ont ricané. Et peut-être les mêmes qui lui ont donné la note maximale pour un assemblage rouge à la dégustation de l'OVV-Guillon 2001. Seul regret: il n'y avait plus aucune bouteille de ce vin «historique». Et puis, Chollet veut réhabiliter ce clone local du gamay qu'est le Plant-Robert, avec Blaise Duboux, naguère iconoclaste quand il bazarda tout ce vieux bois de la cave d'Epesses, pour le remplacer par l'inox. Le bois est revenu sous forme de barrique. Parce que Duboux sait finement règler ses vinifications. Ce qui le rapproche de Jean-François Neyroud-Fonjallaz, passé de jalousé à rassembleur, à Chardonne, où il peaufine ses dézaleys et autres saint-saph'.
Coupe Chasselas et Chablais
Las, il n'a jamais remporté la Coupe Chasselas, au contraire de Pierre-Luc Leyvraz, de Chexbres, un petit qui grimpe, fidèle à la pureté de son blanc, à la touche joliment minérale. Ce que réussit tout autant son confrère en Saint-Saph', Pierre Monachon, de Rivaz, président du label de qualité Terravin, désormais attribué aux meilleurs blancs, mais aussi aux rouges. Le vigneron partage son amour du merlot avec son prédécesseur à la tête de Terravin — vous suivez toujours? —, Philippe Gex, d'Yvorne. Le diable d'homme a réussi à remettre son tablier pour en ceindre deux autres: la robe du Guillon — gouverneur! — la charge de la commune — syndic! Tout en signant merlot, pinot gris et chasselas…
Ils sont un peu comme les «toqués des Dentelles», quelques-uns des meilleurs vignerons des Côtes du Rhône méridionales, eux aussi réunis en «amicale» pour défendre le vin. Le meilleur, rien que le meilleur… Mais on n'a pas encore fait le tour de la question: elle se discute verre à la main. S'ils organisent une dégustation près de chez vous, ne les manquez pas, les douze apôtres d'Arte Vitis.

Texte paru dans le programme officiel de Gastronomia, à Lausanne, en novembre 2002