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Posted on 18 septembre 2005 in Tendance

Alain Neyroud, prix Vetropack 2003 : A quoi sert «sa» bouteille?

Alain Neyroud, prix Vetropack 2003 : A quoi sert «sa» bouteille?

Le Prix Vetropack 2003, remporté à Expovina, à Zurich, Alain Neyroud aurait pu le garder pour lui. Il a préféré en faire profiter ses collègues vignerons encaveurs de Chardonne (VD), qui disposent d’une bouteille exclusive. Il explique ses raisons, avec bon sens et pragmatisme.Voici deux ans, vous avez remporté le Prix Vetropack 2003 avec votre pinot noir «Au coin des serpents» 2000. Une nouvelle bouteille a vu le jour, à la suite de ce prix. Quels ont été vos sentiments à ce moment-là?
AN —Nous étions en pleines vendanges, au cœur du bonheur, en cette magnifique année 2003 (réd. : la plus chaude de l’histoire récente). J’avais d’autres préoccupations. Et, je peux le dire maintenant, ça ne m’a pas fait grand’chose sur le moment…
Pourtant, vous avez décidé, non pas de garder ce prix pour vous, mais d’en faire profiter les quinze vignerons-encaveurs de l’appellation Chardonne. Pourquoi?
AN — Quand j’ai reçu le prix, à Zurich, j’ai dit au «designer» de Vetropack que cette récompense était, en fait, un cadeau empoisonné. Cette nouvelle bouteille qui m’était offerte remettait en question la gamme des vins de mon entreprise! Je suis attaché au «pot vaudois» de 1822 que nous utilisons pour nos pinots noirs, «Au coin des serpents» et en barriques, et à la bordelaise pour notre assemblage «Le jardin secret». Je ne voyais donc pas comment mettre en valeur ce prix… Et dans le train qui me ramenait dans mon village, j’ai pensé à une bouteille pour Chardonne.
Vous la voyiez comment, cette bouteille?
AN —J’ai convoqué le président du caveau des vignerons, Olivier Ducret, et le président de l’appellation, Jean-François Neyroud. Ils ont été séduit et nous avons constitué un groupe de travail. Rapidement, une majorité s’est dégagée pour rester dans le traditionnel, dans le style d’une bouteille vaudoise.
Mais il en existe d’autres, de bouteilles vaudoises!
AN — Au même moment, Vetropack travaillait sur un projet de l’appellation de Morges. Quand on a découvert ce flacon (réd. : appelé «Ambition»), on a eu l’impression d’être court-circuité… Avec le recul, on constate que nous étions partis sur la même idée et qu’il n’y avait pas beaucoup de marge de manœuvre.
Comment avez-vous personnalisé «votre» bouteille?
AN — Nous avons moulé en relief l’emblème de Chardonne sur le col et au cul de notre bouteille. Ce logo, le soleil, a été imaginé dans les années 1950 par la société de développement Chardonne — Mont-Pèlerin. On ne veut pas s’approprier le soleil, mais il s’applique bien à la vigne!
Vos collègues vignerons ont-ils participé à l’élaboration de la bouteille?
AN —J’ai suivi la conception, mais je ne suis pas allé jusqu’au bout. J’avais une autre idée : pour anticiper la limitation de l’alcool au volant, fixée à 0,5 pour mille, je voulais sortir complètement du standard par un flacon à mi-chemin des 70 cl (réd. : la contenance de la nouvelle bouteille de Chardonne) et des 50 cl. Et puis, la phase finale du projet est intervenue alors qu’avec ma compagne, nous avions décidé, en famille, de faire un «break» de plusieurs semaines, pour parcourir l’Australie en «motorhome» et la Nouvelle-Zélande.
Vous étiez à Saint-Prex, en avril dernier, pour la sortie des premières bouteilles. Qu’avez-vous ressenti?
AN — J’étais rentré d’Océanie depuis cinq jours… Ce fut un juste retour dans la réalité de la région et de mon métier. Ce jour-là à la verrerie, nous avions le sentiment de participer physiquement à la création de notre bouteille. Les vignerons se serraient les coudes. Et à la sortie du four, cette bouteille, je l’ai trouvée plus belle que les maquettes que j’avais vues. Quand nous l’avons découverte, elle était le reflet exact, et même meilleur, de ce que nous souhaitions.
Quels espoirs placez-vous dans la nouvelle bouteille de Chardonne?
AN — Sur la base d’une charte de qualité, elle est destinée à contenir uniquement des vins haut de gamme, des spécialités, qui ont passé par une commission de dégustation. Aujourd’hui, un chasselas bien vinifié est une spécialité. Et ici, à Chardonne, on est quinze à en faire, des spécialités. Ce sont les cartes de visite de chaque cave. Mais il y a une limite à leur rôle de moteur. S’il suffisait de quelques vins haut de gamme pour tirer en avant nos chasselas, ce serait magnifique, mais tel n’est pas le cas.
A partir de quand trouvera-t-on des vins de Chardonne dans la nouvelle bouteille?
AN — Les premières bouteilles arriveront sur le marché en septembre.
Allez-vous présenter des vins destinés à être mis dans le nouvelle bouteille?
AN — Pour moi, il y a un problème de dates, lié à l’obligation faite par la charte de mettre les vins blancs sur le marché au mois de septembre de l’année suivant la vendange (réd. : en septembre 2005 pour le millésime 2004) et, pour les vins rouges, en avril de la deuxième année suivant la vendange (soit en avril 2006 pour le millésime 2004). Dans notre entreprise, le cycle commercial court sur un an, de décembre à décembre. Il faudra voir ce que nous pouvons faire… Mais il est indiscutable que plus il y aura de bouteilles de Chardonne contenant les meilleurs vins, plus il y aura d’impact au niveau publicitaire et commercial.
A cause de la grêle de cet été, la vendange 2005 est sérieusement compromise à Lavaux. Quelles ont été les conséquences de ce funeste lundi 18 juillet sur vos vignes et celles de vos collègues?
AN — Près de 50% de Lavaux ont été gravement touchés. A Chardonne, ce taux monte à 80%. Sur notre domaine, cela représente très exactement 90 à 100% de 4,1 hectares, selon l’assurance grêle, et 68% de moyenne sur 1,4 ha de notre pinot noir. Nous n’aurons à vinifier, puis à vendre, que 15 à 20% d’une récolte normale… Sur les vignes peu mutilées, la grêle nous a fait perdre trois semaines de cycle de végétation. Selon le temps de l’automne, nous aurons un «millésime» certes, mais sûrement pas un «grand millésime».
Le Concours Expovina 2005, biennal, a eu lieu en juillet. Y avez-vous participé?
AN — Oui. Depuis une douzaine d’années, nous envoyons nos vins. Trois ont obtenu une médaille d’or : «Le jardin secret» 2003, avec 90 points sur 100, le pinot noir «Sortilège» 2003, labellisé Vinatura (90 points), et le pinot blanc 2004 (89 points). Le pinot noir barriques 2002 a obtenu l’argent, comme un de nos chasselas. Pas de médaille pour «Au coin des serpents», cette fois-ci! Mais vous savez, les concours n’ont pas d’effet sur la commercialisation. On se doit d’y participer pour éviter d’être des esseulés qui navigueraient sans point de repère…
Propos recueillis en août 2005 par Pierre Thomas*

Portrait
Alain Neyroud en bref
Alain Neyroud, 62 ans, travaille sur le domaine familial de Chardonne depuis 45 ans. De 1981 à 1997, il a été syndic de son village, fonction qu’il a quittée pour mener une troupe de la «Fête des vignerons» de Vevey en 1999. Le vigneron est associé, depuis l’automne passé, avec Gianni Bernarconi, un ancien employé de banque tessinois, ingénieur-œnologue de Changins, qui est sur le domaine depuis plus de dix ans, après des stages chez Pascal Delbeck, vigneron réputé du Bordelais (Château Bel-Air). Le jeune homme est aussi un passionné de viticulture et cultive selon les principes écologistes de la biodynamie, 2 hectares du domaine. A Chardonne, Alain Neyroud SA s’occupe de 5,5 ha de vignes, 60% en rouge (dont 2 ha de pinot noir, le reste en gamay, gamaret, garanoir, diolinoir et merlot) et 40% en blanc (chasselas principalement, mais aussi pinot blanc, sauvignon, doral et charmont). Le domaine est fier de ses pinots noirs, plusieurs fois médaillés d’argent au Concours Mondial du Pinot Noir à Sierre (VS).