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Posted on 3 juillet 2012 in Vins du Nouveau Monde

Klein Constantia repris par des Lémaniques

Klein Constantia repris par des Lémaniques

Le premier est un richissime homme d’affaires d’origine tchèque. Le deuxième est un directeur général suédois. Le troisième, œnologue, fut le propriétaire d’un deuxième grand cru classé bordelais. Le quatrième est un dégustateur-consultant français. Les quatre se sont mis en tête de refaire du domaine historique de Klein Constantia, près du Cap de Bonne-Espérance, le fleuron des vins sud-africains. Et ils ont en commun d’être tous domiciliés sur l’arc lémanique.

Par Pierre Thomas

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Les bâtiments de Klein Constantia sont dans le style «Kapedutch» des premiers colons hollandais débarqués au Cap au 17ème siècle et qui y plantèrent les premiers ceps.

L’aventure démarre en mai 2011, quand Zdenek Bakala, fondateur de la holding d’investissement BXR, achète avec le directeur de cette société, l’Anglais Charles Harman, ce domaine de 150 hectares fondé en 1685, au revers de la montagne de La Table, qui domine la ville du Cap. Ces deux partenaires ont travaillé par le passé au Credit Suisse First Boston et connaissent bien l’Afrique du Sud. (En mars 2020, M. Bakala, qui a une fondation philanthropique, est présenté comme un repreneur éventuel du Lausanne HC).
Un vin qui a nourri la littérature
Du «Vin de Constance», qui adoucit l’exil de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène, Baudelaire a écrit ces deux vers, tirés du poème «Sed non satiata», dans les «Fleurs du Mal» : «Je préfère au constance, à l’opium, au nuits (réd. nuits-saint-georges, le rouge bourguignon), l’élixir de ta bouche où l’amour se pavane». Jane Austen et Charles Dickens ont nommé ce liquoreux dans leurs écrits. Et il était l’égal des sauternes bordelais, des tokays hongrois et des cotnaris roumains aux cours européennes, au 18ème siècle. Ravagé par le phylloxéra, le domaine sud-africain tomba en désuétude dès le 19ème siècle, avec quelques soubresauts. Jusqu’en 1982, où la famille Jooste entreprit de replanter du muscat de Frontignan pour redonner naissance au «Vin de Constance». Elevé deux ans en fûts et stocké trois ans en bouteilles, il revient sous son antique étiquette libellée en français en 1986, et dans un flacon de 50 cl «à l’ancienne» (aujourd’hui, le 2005 se vend 58 fr.).
L’apport de deux Bordelais
A côté de ce vin de dessert, dans un climat rafraîchi par l’océan, le domaine produit un bon sauvignon blanc et quelques rouges, de style bordelais. Dans les années 1990, le propriétaire d’alors, Lowell Jooste, lança aussi un domaine de 40 ha, dédié aux rouges à Stellenbosch, Anwilka, avec deux partenaires-œnologues français. L’un, Hubert de Boüard, a propulsé le Château Angélus au sommet de la hiérarchie de Saint-Emilion, l’autre, Bruno Prats, domicilié sur les hauts de Morges, est l’ancien propriétaire du Château Cos-d’Estournel, dirigé par son fils.

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Depuis le début 2012, les deux entités, Klein Constantia et Anwilka, sont «amalgamées» et le duo Boüard-Prats est devenu actionnaire minoritaire de la nouvelle entité, que dirige Hans Astrom (photo ci-dessus). Ce Suédois de 51 ans, qui fut tour à tour sommelier, restaurateur puis agent d’importation de vins en Suède, a aussi des liens avec la Suisse, où il a longtemps habité, au bord du Léman. Entretemps, il avait mis le cap sur l’Australie, exerçant durant douze ans la fonction de directeur général de la cave Peter Lehmann, reprise en 2003 par Donald Hess. Le Bernois lui conféra alors le titre de «general manager» commercial, y compris pour le domaine sud-africain du groupe, Glen Carlou.
330 ans d’histoire au Nouveau-Monde
Hans Astrom vient de prendre ses quartiers en Afrique du Sud. On l’a rencontré à l’Ecole hôtelière de Lausanne, où le professeur principal d’œnologie et de dégustation, René Roger, est aussi un ami, et consultant occasionnel, des nouveaux propriétaires de Klein Constantia. «C’est un projet enthousiasmant pour les dix prochaines années!», s’exclame Hans Astrom. «Je prends un cours intensif sur les vins sud-africains. A l’époque, je les ai critiqués. Mais l’Afrique du Sud a un grand potentiel pour élaborer des vins de qualité. C’est le bon moment d’investir dans le vin sur place, vingt ans exactement après l’ouverture complète du marché. Chez nous, presque tout est à faire. Nous avons une super histoire: pensez, des vins du Nouveau-Monde qui remontent à 1685! Et nous avons 500’000 bouteilles à vendre, entre les deux deux domaines. Nous sommes déjà présents sur les vols de plusieurs compagnies aériennes. Et nous sommes distribués dans de nombreux pays (réd. : en Suisse, chez Moevenpick). Nos vins seront servis à la fête nationale du 1er août au consulat suisse du Cap.»

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Dans le terrain, il s’agira de réaménager la cave et de renouveler les 150 hectares de Klein Constantia, au pied du Constanceberg (photo ci-dessus), minés par l’érosion. Un gros travail dans les vignes, emmené par une consultante en viticulture célèbre, Rosa Kruger, qui travaille notamment avec l’«enfant terrible» de l’œnologie sud-africaine, Eben Sadie, pour la série des «Old Vines» («vieilles vignes»). A Anwilka, le «grand vin», lancé en 2005, est un assemblage de cabernet sauvignon et de syrah. Les cépages des Côtes-du-rhône ont un bel avenir, sous ce climat réputé méditerranéen, tant  en blanc, avec la roussane et la marsanne qu’en rouge, avec la syrah et le grenache. Mais l’arrivée de ces investisseurs européens est-elle bien vue? «A Bordeaux, il y a de bons et de moins bons domaines tout-à-fait français et de nombreux investisseurs étrangers. L’origine n’a aucune importance si les intentions sont bonnes», répond le baroudeur suédois.

Afrique du Sud:
majorité de vrac

Au premier semestre 2012, les exportations sud-africaines ont progressé de 9%. Cette progression est due aux expéditions en vrac (+ 31%), alors que celles en bouteilles ont régressé de 9%. La plupart des marques sud-africaines commercialisées en Europe sont mises en bouteille à l’arrivée. Et le vrac, qui représentait 40% en 2010, dépasse aujourd’hui les 50%.

Paru dans
Hôtellerie & Gastronomie Hebdo le 30 août 2012.