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Posted on 1 mai 2010 in Vins suisses

11 experts jugent le Chasselas

11 experts jugent le Chasselas

Onze experts jugent
le Chasselas

(propos recueillis par Pierre Thomas en janvier 2010)

Jérôme Aké Béda, sommelier à l’Auberge de l’Onde, à Saint-Saphorin (VD)

«Un vrai Suisse avec ses différences»

Né en Côte d’Ivoire, où il a entamé sa formation en école hôtelière, Jérôme Aké Béda est arrivé en Suisse à 26 ans, il y a tout juste vingt ans. Il a servi dans les meilleures adresses entre Vevey et Saint-Saphorin, où il est en place dès la réouverture de cette mythique adresse du vignoble vaudois, il y a quatre ans. Avec le chef alsacien Patrick Zimmermann, elle vient de retrouver une étoile au Guide Michelin (15 sur 20 au Gault Millau).
«Le Chasselas, j’ai été plongé dedans tout de suite ! Ce vin blanc me paraissait fait pour le palais des gens du pays. C’est un vrai Suisse, neutre, mais aussi qui exprime ses différences (de terroir). Aujourd’hui, les jeunes ont une vision plus gastronomique du chasselas. On ne peut pas parler de «nouveau» Chasselas pour autant… Mais il faut que les vignerons se rendent compte de l’évolution des besoins et visent toujours l’excellence. Ensuite, c’est aux sommeliers d’être les ambassadeurs de ces vins. L’autre jour, à une tablée de vignerons, j’ai servi un menu dégustation «tout Chasselas» : sur un foie gras poêlé à la réduction de citron, Les Blassinges, de Pierre-Luc Leyvraz, sur du cabillaud, un Vieille Vigne des frères Bovy, puis sur des langoustines un Dézaley La Borne 2004 de Testuz, en fût de chêne, et, enfin, sur une cannette, une Récolte choisie de Patrick Fonjallaz, une vendange tardive. Tous ces vins ont été carafe, pour qu’ils expriment leur minéralité. Il ne faut pas hésiter à servir des Chasselas qui ont plus d’une année… Et dans des verres appropriés, pas dans le godet vaudois, qui sous-entend à petit vin, petit verre.»

Rodrigo Banto, œnologue Cave Cidis (Uvavins), Tolochenaz (VD)

«Le Chasselas convient au marché indigène»

Double national, Suisse et Chilien, Rodrigo Banto a vécu le début de sa carrière dans les meilleures caves du Chili. Depuis 2003, il est œnologue responsable chez Uvavins, la coopérative de la Côte vaudoise.
«Pour moi, le Chasselas est un cépage très suisse, qui fait partie de la culture helvétique et est adapté aux mets de la cuisine locale. C’est un vin local de niche qui appartient au patrimoine et à l’Histoire. A l’export, il ne peut qu’occuper des marchés de niches spécifiques. Son caractère pétillant ne plaît pas. Il est aussi trop neutre, trop discret, ce qui en fait sa force et sa faiblesse, dans un monde qui préfère des cépages aromatiques comme le Riesling ou le Sauvignon ou le Chardonnay, où l’arôme est donné par le bois. Je vois donc l’intérêt du Chasselas surtout sur le marché indigène. Il faut éviter tout stress à la vigne et le vinifier en contrôlant les températures. A la dégustation, le fruit, la minéralité et l’élégance sont essentiels. Je fais moins de  fermentation malolactique pour conserver de la fraicheur. Je le fais fermenter parfois à basse température aussi. Ou je l’élève partiellement en barriques, pour assembler avec des vins de cuve, sans entacher sa finesse.»

Gilles Besse, œnologue et encaveur, Vétroz (VD)

«Le Fendant a une valeur culturelle»

Gilles Besse est depuis 16 ans associé à son oncle, Jean-René Germanier. Deux fois, le Fendant Les Terrasses a remporté la Coupe Chasselas et le Balavaud Grand Cru 2002 s’est imposé au premier Grand Prix du Vin Suisse (en 2003). Gilles Besse est vice-président de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV).
«Quand je suis arrivé à la cave, tous les efforts avaient déjà été mis sur le Fendant. On utilisait des levures sélectionnées, les températures de fermentation étaient contrôlées, les lies, soutirées rapidement, et la malolactique était gérée de manière pointue, en fonction des millésimes. Depuis 16 ans, la vinification n’a pas changé, mais une foule de détails ont été améliorés, de la vigne à la bouteille. En Valais, les vignes vieillissent. On va donc régénérer les vignes. Près de sept cents hectares de Chasselas ont été arrachés en dix ans. Parallèlement, le prix des spécialités blanches s’est tassé. On prend conscience de la valeur culturelle du Fendant. A Vétroz, le Grand Cru (7 ha de Fendant) a été très profitable. Pour augmenter la valeur ajoutée, le mot Grand Cru fait immédiatement penser au vin d’une qualité supérieure. Et Les Terrasses, AOC Vétroz, se vend 13,50 CHF la bouteille, et notre Balavaud Grand Cru, 16 CHF.

Christoph Bürki, Category Manager vins et mousseux, Coop Suisse, Bâle

«Pour le consommateur, le prix
compte plus que le style»

Coop est le plus gros vendeur de vins de Suisse. Christoph Bürki, qui siège au comité de l’Association  suisse du commerce des vins (ASCV), a une vue d’ensemble du marché suisse.
«Il y a une différence entre les marchés alémanique et romand. Dans le premier, les vins blancs autrichiens, de l’Italie du Nord et de l’Espagne (Rueda) habituent les consommateurs à des vins plus vifs et aromatiques — le succès de la Petite arvine valaisanne va dans le même sens. Les Romands restent plus fidèles à l’origine suisse, tout en s’intéressant de plus en plus aux spécialités, et la tradition du verre de Chasselas pour l’apéritif se perd. Pour le consommateur, le prix compte davantage que le style. Les meilleurs vins, compris entre l’élégance et l’origine connue, comme Aigle, Lavaux, surtout avec Epesses et Saint-Saphorin, Féchy et le Fendant se portent assez bien. Les Chasselas à renommée plus locale (Vully, Neuchâtel, Genève) se vendent toujours très bien dans leur région de production. Le Chasselas ne doit pas forcément évoluer : il faut garder la typicité de ce vin unique et ne pas chercher à copier d’autres styles. Le niveau qualitatif est bon, avec des vins frais, une caractéristique indispensable pour vendre la majorité des Chasselas.»

Bernard Cavé, œnologue et producteur, Ollon (VD)

«Le Chasselas doit être friand et frais»

Associé à Aigle au vigneron Philippe Gex, Gouverneur de la Confrérie du Guillon, au Clos du Crosex-Grillé (2,5 ha), à Aigle, Bernard Cavé élabore une gamme complète de vins.
«Les gens reviennent au Chasselas ! Tous mes clients, Suisses ou étrangers, l’apprécient de plus en plus… Avant de mettre en bouteille les 2009, à la fin de l’année (2009), j’étais sec en Aigle, Ollon et Yvorne. Depuis 2007, sur les vins de mon domaine, comme le Crosex Grillé, je n’utilise que des levures indigènes. Depuis 2008, je passe mes blancs en amphores en forme d’œuf. Le Chasselas effectue ses deux fermentations dans ces contenants, du moût soigneusement débourbé jusqu’à la préparation à la mise en bouteilles. L’amphore en béton d’argile, par la grande porosité de son enveloppe, augmente le volume du vin et accentue la minéralité, qui est une forme de fraicheur. Je n’ai jamais eu de plaisir avec un chasselas élevé longuement sur lies ou en barriques. Pour moi, un Chasselas doit être friand et frais. D’autres cépages donnent d’autres possibilités et on a la chance, en Suisse, de pouvoir en cultiver une vaste palette. Le Chasselas doit montrer un équilibre entre le gras, la fraicheur et le friand. Et ça n’est pas si facile à atteindre !»

Philippe Corthay, œnologue-conseil, Echichens (VD)

«Le Chasselas donne un vin unique»

A 59 ans, Philippe Corthay vient de débuter dans une carrière d’œnologue-conseil, après 28 ans de vinification chez Uvavins et 6 ans d’enseignement à Changins. Il est expert technique auprès du label Terravin.
«Nous devons prendre conscience de la qualité du Chasselas. Il y a vingt ans, il a été critiqué pour sa neutralité, parce que le vin était sans fruit et exprimait des notes végétales. Il paraissait dépouillé par ce qu’il était déséquilibré dans sa structure. Nous avons changé notre fusil d’épaule ! Aujourd’hui, le Chasselas a gardé sa neutralité, mais dans l’élégance. Il n’est ni fatigant, ni agressif ; son acidité reste modeste. Les nouvelles techniques de vinification ont réussi à faire monter le volume en milieu de bouche. C’était un grand défi pour les œnologues de rendre le Chasselas plus expressif aromatiquement et équilibré en bouche. Les amateurs de vins réagissent positivement parce que le Chasselas est un vin unique et qui sa donc sa place en tant que tel.»

Blaise Duboux, œnologue et vigneron, Epesses (VD)

«Un grand vin de soif et de convivialité»

Très impliqué dans les procédures de certification (label suisse Vinatura, démarche autour du Plant-Robert), Blaise Duboux préside le mouvement de treize vignerons vaudois «Arte Vitis». Il est aussi président des vignerons de l’appellation Epesses – Calamin Grand Cru.
«A Arte Vitis, nous mettons 60% de notre énergie sur le Chasselas. Sa vocation de révélateur de terroirs nous oblige à ne pas faire, comme tout le monde, un vin moderne au goût de chêne ! En vingt ans, le Chasselas est devenu plus respectueux du climat, du terroir et du millésime. Il incarne la mémoire de l’année. Pour un vigneron de Lavaux, le Chasselas fait partie du patrimoine. Il y a une filiation intime entre la roche qui nourrit la terre et le vin qui en résulte. Mais il reste un vin de soif et de convivialité. Les deux peuvent cohabiter : c’est une histoire de comptoir de bistrot pas coupée de ses racines. On doit tout faire pour garder de l’authenticité aux appellations et aux grands crus, malmenés par la nouvelle législation vaudoise. Et ne pas propulser le Chasselas dans une supercatégorie de vin!»

Philippe Meyer, œnologue, Domaine Louis-Philippe Bovard, Cully (VD)

«Il reste le plus difficile à vinifier»

Formé en Champagne (chez Roederer), diplômé en œnologie de Reims, à 30 ans, Philippe Meyer a choisi de rejoindre la Suisse, après avoir travaillé quelque temps au domaine familial réputé, Josmeyer à Wintzenheim (Alsace), tenu par son oncle.
«L’image que j’avais du Chasselas, c’était celle d’un vieux cépage qui existe depuis toujours. Il sert d’indicateur de maturité : tel cépage mûrit X jours après le Chasselas. Comme Alsacien, je n’en ai jamais vinifié séparément. Avec le Sylvaner et un peu de Muscat, il est assemblé en cuve pour donner l’Edelzwicker, le blanc courant. Si le Sylvaner connaît un regain d’intérêt, le Chasselas, lui, est en voie d’abandon en Alsace. Dès ma première vendange ici (2008), j’ai été surpris par la difficulté à le vinifier. Il réduit. C’est le cépage blanc le plus difficile à vinifier et c’est sans doute la raison pour laquelle il a été abandonné ailleurs… J’aime la minéralité des Dézaleys, mais pour apprécier le Chasselas, c’est comme pour le Champagne, il faut l’expliquer. On n’a pas assez communiqué sur ce à quoi doit s’attendre celui qui va le boire. Le Chasselas s’exprime sous de multiples facettes : du vin de soif jusqu’au vin structuré, long et minéral. Au domaine Bovard, nous élaborons par exemple un Ilex, un Calamin sans malo, bâtonné sur ses lies et élevé un an en barriques de tous âges, pour sortir des sentiers battus. Je n’aime pas le bois, mais s’il est bien intégré, il participe à la structure du vin.»

Jean Solis, négociant en vins, Pully (VD)

«Le Chasselas reste un grand vin d’apéritif»

Bourguignon d’origine, Jean Solis, double vainqueur du Championnat suisse de dégustation, est un des meilleurs connaisseurs du Chasselas.
«On n’a pas révolutionné la vinification. Je ne suis pas convaincu par les Chasselas sans fermentation malolactique. Certains cépages ont besoin de la seconde fermentation pour s’exprimer. Le Chasselas se comporte comme le Chardonnay : sans malo, on perd en complexité et en minéralité. Quand on déguste de vieux Chasselas, on s’aperçoit que ça n’est pas l’acidité qui tient le vin. A condition de disposer d’un bon terroir, de bien travailler à la vigne et avec un rendement raisonnable, le vigneron obtient de bons vins. En cave, prendre des risques, en allongeant la durée de la fermentation alcoolique, en laissant le vin sur ses lies, peut s’avérer payant, comme le montre un Pierre-Luc Leyvraz, régulièrement bien classé dans les concours. Le Chasselas doit être sec : si un peu de sucre résiduel ne gêne pas trop sur un vin jeune, sur la longueur, la palette aromatique est altérée et le vin déséquilibré à l’évolution. Pour moi le Chasselas reste un grand vin d’apéritif. Rares sont les blancs aussi subtils.»

Robert Taramarcaz, œnologue et vigneron, Domaine des Muses, à Sierre (VS)

«Le Fendant, c’est le champagne suisse!»

Ce jeune Valaisan, œnologue formé notamment en Bourgogne, est le champion sortant du Chasselas (1er et 3ème places avec ses Fendants, Classique, et de Granges).
«Le Fendant Classique 2005, issu de vieilles vignes que je loue à Vétroz depuis 2005, a obtenu une grande médaille d’or au concours cantonal des vins valaisans, le 2006 était vice-champion suisse, le 2007, médaillé d’or, et le 2008, champion suisse. Mes Fendants sont des vins de terroir. La cuvée Classique se destine à l’apéritif : je réajuste le carbonique pour qu’il soit frais et friand. Issu de la même vigne, le Tradition fermente à une température un peu plus élevée et je remets en suspension les lies, de sorte qu’il est plus ample, plus complexe, plus gras, et convient à la gastronomie. Au cours de mes études, je n’avais jamais vinifié de Chasselas. Après 4 ans passés à l’étranger, quand je suis revenu au domaine familial, ce vin m’était inconnu. Le Chasselas, s’il est facile à cultiver, est le plus difficile à vinifier. Il reste un vin à part dans la cave : le moindre problème de vinification et le vin nous échappe… C’est notre Champagne à nous ! Quand je le dis, on m’écoute avec intérêt…»

Georges Wenger, grand chef, Le Noirmont (JU)

«Le seul vin authentique de Suisse»

Installé depuis trente ans dans les Franches-Montagnes, Georges Wenger est un des grands chefs de Suisse (deux étoiles au Guide Michelin, 18 sur 20 au Gault Millau). Il s’est pris de passion pour les vieux Dézaleys : sur sa carte des vins, une page mentionne une cinquantaine de références et il en conserve plusieurs milliers de bouteilles en cave. Il vend aussi ces vins à l’emporter.
«Il y a 40 ans, des vignerons suisses ne sortaient le vin blanc de leur cave qu’après sept ans d’élevage. Il y a quelques années déjà, je suis allé trouver les vignerons du Dézaley et je leur ai demandé de vieux millésimes. Sur une verticale de trente années, je suis rarement tombé sur un vin médiocre. Les Chasselas sont peut-être légers, mais jamais décharnés ou oxydés, comme peuvent l’être certains Bourgognes. Ils sont capables de durer. Il faut cesser cette compétition à la puissance dans le goût : ça en devient lassant ! Pour apprécier un vin puissant, il faut d’abord connaître des vins plus fins, plus légers. Dans un restaurant comme le nôtre, le Chasselas d’apéritif est passé aux oubliettes… Les clients consomment moins, mais mieux. Il faut donc faire redécouvrir le Chasselas. Ceux qui ont une identité forte, une signature de vigneron, font l’unanimité. Je sers ces vins entre trois et cinq ans d’âge, jamais plus jeunes. Boire un Dézaley sur les arômes primeurs, c’est une erreur : c’est comme si on ne mangeait que du baby-beef. On peut trouver un plat pour tous les âges du Chasselas, des asperges, des morilles et bien sûr, les vieux fromages. Chez nous, les vieux Dézaleys ont bien pris. Le plus grand intérêt du Chasselas, c’est qu’il donne le seul vin authentique, typique, de la Suisse.»

Propos recueillis par Pierre Thomas en janvier 2010.