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Posted on 20 mai 2015 in Vins italiens

L’irrésistible irruption des vins de l’Etna

L’irrésistible irruption des vins de l’Etna

Mettre au jour de nouveaux terroirs dans la vieille Europe, ça n’arrive pas tous les jours. Les vins de l’Etna incarnent cette découverte dans les «terres noires» du pied du volcan sicilien. Reportage.

Par Pierre Thomas, textes et photos

Il faut arriver à Catane en avion un jour de printemps et choisir un siège à gauche de la cabine. Entouré d’une écharpe blanche — «La Contessa», comme l’appellent les indigènes —, ou trônant dans l’espace céruléen, il émerge dans toute la majesté de ses 3’300 mètres. C’est le meilleur moment aussi pour contempler, de son flanc nord, le sommet encore enturbanné de neige, dominant la large vallée de l’Alcantara balafrée de coulées de laves et striée de murs en pierres noires, délimitant les terrasses viticoles où subsistent de curieuses pyramides. Elles ont deux explications. La première remonte aux premiers habitants de la Sicile, dans cette partie sud-ouest, avant que les Grecs y mettent le pied au 8ème siècle avant Jésus-Christ : ces pierres élevées en monument auraient une forme rituelle. La seconde, la plus vraisemblable, attribue aux paysans-vignerons le fait d’avoir entassé méticuleusement les cailloux recueillis sur le sol pour y planter vignes ou légumes.

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La première DOC de l’île

En Sicile, il y a toujours deux explications, au moins, aux choses. La «légende» des vins de l’Etna n’y échappe pas. Ils ont été les premiers à bénéficier d’une DOC en 1968 déjà (lire ci-dessous). Le texte légal, complété en 2011, fait remonter l’agriculture dans la région de Catane au néolitique. Et rappelle que le grand poète Théocrite, né à Syracuse au 3ème siècle avant notre ère, parlait du succès des vins des flancs de l’Etna. Plus tard, divers auteurs les évoquent, comme Bacci dans son «Histoire des vins d’Italie» en 1596.

La province de Catane cultivait 90’000 ha de vignes avant le phylloxéra dévastateur, au début du 20ème siècle. Aujourd’hui, on en comptabilise 700 ha au pied de l’Etna, compris entre 400 et 1’000 mètres sur le niveau de la mer. Antiques origines, certes, mais récente renaissance, puisqu’on ne comptait que six caves en 2002 et plus de 80 aujourd’hui, avec des plantations de 50 ha de nouvelles vignes par an. Les vins de l’Etna représentent un peu plus de 3 millions de kilos de vendange, deux tiers en rouge, un tiers en blanc. Le rosé et le mousseux, à majorité du «blanc de noir», connaissent un succès de mode.

Entre blanc et rouges, le palais de l’amateur de vins balance… L’altitude et le micro-climat expliquent la fraîcheur naturelle de ces vins, qui titrent à peine plus de 12% d’alcool. Et si on veut approcher une forme de «minéralité» — un «moto» du vin moderne, difficile à caractériser et à prouver par les faits ! —, les vins de l’Etna ont quelques raisons objectives à faire valoir. Car les sols, légers, formés de résidus du volcan, toujours actif — sa dernière éruption dévastatrive date de 2003 —, de scories de lave et de pierre ponce, mais aussi d’argile, sont fertiles et riches en minéraux comme le potassium, le fer, le magnésium ou le manganèse.

Du chasselas et de la mondeuse !

Pour «traduire» cette expression minérale, l’Etna dispose aussi de ses cépages propres. En blanc, le carricante, utilisé pur dans les meilleures cuvées, mais parfois assemblé à du cataratto, de la minnella bianca ou du trebbiano. En rouge, le nerello mascalese, obligatoire à 80% au moins, parfois complété par du nerello cappuccio ou des cépages blancs (10% maximum).

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Mais les pionniers qui ont replanté de la vigne dans ce jardin d’Eden ont presque tout essayé. Venu de Suisse — il a étudié l’économie à l’Université de Fribourg —, en passant par la Toscane, où il a refait sa vie, Peter Wiegner (ci-dessus), a planté trois rangées de ceps de chasselas, à 800 mètres d’altitude, qu’il «noie» dans son fiano, un cépage blanc venu des contreforts d’un autre volcan, le Vésuve. Il récolte aussi à mi-novembre de l’aglianico et du petit verdot, deux vins élevés en barriques dans sa cave, un bijou moderne orné de vitraux. A bientôt 75 ans, cet original transmet son domaine au fils de sa compagne, Marco, converti à la viticulture biologique.

Non loin de là, Cottanera, une des caves les plus progressistes de la région, sur 62 hectares plantés dès 1995, s’était distingué par sa mondeuse (mais oui, le cépage de Savoie et du Chablais vaudois !), sa syrah, son merlot et son cabernet, au milieu des années 2000. Aujourd’hui, avec l’arrivée d’une nouvelle génération, la cave mise sur les cépages locaux de la DOC Etna et de terroirs précis, avec un élevage sur lies et en fûts pour le blanc 100% carricante. Autres beaux vins tout neufs, l’Etna Rosso Diciasettesalve 2014, pur nero mascalese, puissant, et l’Etna Rosso Riserva Zottorinoto, d’altitude (800 m.) et de vignes de plus de 30 ans, élevé deux ans en grands fûts. Le 2011, premier millésime de réserve admis par la législation, tiré à 1’500 bouteilles, qui sera vendu 45 euros la bouteille, est à la hauteur des ambitions, avec un beau nez vanillé, des tanins fondus par l’élevage, mais qui reste ferme, frais et fruité, sur des arômes de sureau et de grenadine.

Parmi les autres vins de l’Etna, dégustés à l’aveugle lors de «Sicile en primeurs», organisé par Assovini Sicilia, qui regroupe les principaux domaines exportateurs, à Taormina, on a apprécié, en blanc, le pur carricante 2014 et Eruzione 1614 (carricante et 10% de… riesling) 2014 de Planeta, le carricante 2013 (Etna superiore) de Barone di Villagrande 2013, l’Arcuria 2013 de Graci, l’Archineri 2014 de Pietradolce et le très flatteur Luci, Luci d’Al Cantara. En rouge, l’Arcuria 2013 de Graci, l’Eruzione 1614, 2013, de Planeta, l’O’Scuru, O’Scuru 2012 d’Al Cantara, le Vigna Barbagalli 2012 et l’Archineri 2013 de Pietradolce, le A Rina et le San Lorenzo 2013 de Girolamo Russo.

A noter que 2014 est une grande année en Sicile : «La plus équilibrée et la meilleure depuis quinze ans», selon Enzo Cambria, cofondateur de Cottanera (photo ci-dessous). A ne pas manquer sur les cartes des restaurants italiens !

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La montée en gamme de la Sicile

Avec un peu plus de 100’000 ha de vignoble (sept fois la Suisse viticole), la plus grande île de la Méditerrannée est aussi la plus vaste région viticole d’Italie, avec deux tiers de la surface plantée en… blanc. Depuis fin 2011, les vins de toute l’île peuvent revendiquer la DOC Sicilia générique. Son président, Antonio Rallo, de Donnafugata, grand domaine connu pour ses vins de la région de Marsala (sud-ouest) mais aussi de l’île de Pantelleria (dont la culture du cépage zibibbo est classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis novembre dernier), vise les 30 millions de bouteilles vendues cette année en DOC Sicilia.

En plus des vins d’entrée de gamme, il existe 22 DOC portant un nom local. Les vins de l’Etna furent les premiers à pouvoir le faire dès 1968. Un seul cru a accédé au plus haut niveau de la classification italienne, la DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie), en 2005, le Cerasuolo di Vittoria. Ce beau vin rouge, produit sur 260 ha dans la province de Ragusa (sud-ouest), est constitué de deux cépages remarquables : le nero d’avola et le frappato. Le premier se retrouve dans tout le vignoble, de l’entrée de gamme à 3 ou 4 euros, aux cuvées ambitieuses et souvent très boisées à plus de 50 euros. Dans le Cerasuolo di Vittoria, le nero d’avola est assemblé au frappato (entre 30% et 50%), un cépage rouge qui donne des vins de grande fraîcheur, très à la mode «en puresse». Rarement élevé en fûts neufs, le Cerasuolo di Vittoria reste d’un excellent rapport qualité, prix et… plaisir, vendu entre 15 et 20 francs en Suisse. Les vins de Planeta (Dorilli), Feudi di Pisciotto (G. Valli), Valle dell’Acate (Classico) et de l’étoile montante de la région, Arianna Occhipinti (Grotte Alte), sont recommandables. (PTs)

Paru dans La Liberté du 20 mai 2015. PDF téléchargeable ici

©thomasvino.ch