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Posted on 9 mai 2015 in Vins suisses

Une nouvelle cave pour les Frères Dutruy

Une nouvelle cave pour les Frères Dutruy

Des locaux éparpillés aux quatre coins du village, des cuves et des barriques en pagaille. Souvent petit vigneron devenu grand doit se contenter de ce qu’il a accumulé au fil des ans. Avec le millésime 2014, les Frères Dutruy, qui sont autant un duo — Christian et Julien — qu’une marque, ont pu expérimenter leur nouvelle cave, à Founex (VD). Visite exclusive.

Par Pierre Thomas

En attendant l’inauguration officielle ce mois de mai (portes ouvertes les jeudi et vendredi 21 et 22 mai 2015, de 17 à 21 h, samedi et dimanche 23 et 24, de 10 à 18 h.), pas de photo du bâtiment, aux façades taupe, pas encore revêtues de bardeaux, sous une charpente en lamellé-collé de bois suisse. Construite par des artisans locaux, la cave n’a mis que six mois pour sortir de terre, hors du village de Founex, mais à proximité de la majorité des parcelles de ce domaine de 25 hectares de La Côte, une taille respectable dans le vignoble suisse.

Christian (à g.) et Julien Dutruy devant une partie de leur assortiment.

Christian (à g.) et Julien Dutruy devant une partie de leur assortiment.

Les vendanges ont eu lieu, les jus fermentent dans les cuves, mais on en est encore aux finitions, à la pose de carrelage. Leur cave, les frères Dutruy l’ont pensée jusque dans les moindres détails. Dans la force de l’âge, Christian, 40 ans, et Julien, 34 ans, se sont bien réparti leurs rôles. L’aîné s’occupe de la pépinière, une tradition de quatrième génération. Il est aussi chef du personnel, avec une vingtaine d’employés en moyenne annuelle, à la fois en pépinière et sur le domaine selon les saisons, chef de culture et responsable commercial. Tandis que Magali, fille de vignerons alsaciens, est responsable de l’administration et de la communication, son mari, Julien, œnologue, major de sa promotion à Bordeaux, signe les vinifications. Et c’est lui qui fait visiter le nouvel «outil».

Ultra moderne et ultra respectueux du raisin

On n’a pas lésiné sur la place : tout est de plain pied, à l’exception du chais à barriques à la lumière néon futuriste, en sous-sol. Le domaine, réparti en cinq entités, a renoncé à la machine à vendanger, privilégiant la récolte manuelle, qui permet le tri à la vigne, la cueillette en «grappes entières» pour les blancs et en «baies rondes» pour les rouges. Afin de renoncer aux pompes, pour s’en tenir à un traitement «par gravité», il a fallu trouver un moyen mécanique ingénieux : un cuvon en inox circule sur un rail, de la sortie de l’égrappoir et de la table de tri, et s’en va alimenter par le haut l’une des douze cuves en inox à chapeau flottant. Trois grands pressoirs sont à disposition : traitée avec respect, la matière première ne tolère aucune précipitation. De l’ancienne cave, les cuves en émail ont été conservées, de sorte que 60 récipients permettent de vinifier par cépages, bien sûr, mais aussi par parcelles. Un laboratoire et des locaux de dégustation et d’accueil complètent cet équipement à la pointe de la technologie moderne, mais la moins invasive possible. La cave est équipée en thermorégulation, pilotée par ordinateur, et les locaux ressemblent «à un frigo géant parfaitement isolé» fonctionnant par récupération d’énergie.

Une cave équipée pour vinifier en raisin rond, après tri de la vendange.

Une cave équipée pour vinifier en raisin rond, après tri de la vendange.

Déjà 10 millésimes de la nouvelle génération

A un peu plus de 30 ans, Julien signera, en 2015, son dixième millésime. D’emblée, les Frères Dutruy s’étaient imposés avec le 2005 de leur réserve de gamaret, sacré au Grand Prix du Vin suisse 2007 «meilleur pur cépage rouge» (hormis le gamay, le pinot noir et le gamaret). Six «réserves» monocépages, un assemblages rouge et un mousseux rosé, sont proposés, élevés en barriques. Le nouveau chais, avec son taux d’humidité constant à 80% et ses 150 «pièces» de deux tonneliers bourguignons, chez qui l’œnologue va choisir ses bois, devrait permettre d’affiner l’élevage de ces vins hauts de gamme. Avec 25% de chêne neuf, les réserves, appelées Les Romaines (une étiquette inspirée à leur père, Jean-Jacques, 70 ans en janvier dernier, par les colonnes laissées à l’entrée de Nyon) gagneront en finesse. Aujourd’hui, elles représentent 35’000 bouteilles sur les 150’000 de l’ensemble de la gamme, réparties en deux domaines, La Treille et La Doye.

Des cuvées mieux définies

Les Frères Dutruy ont l’intention de simplifier leur offre, pour ne proposer, sauf exception, qu’une étiquette par cépage ou assemblage. En goûtant aux barriques, Julien fait un peu la moue sur les tanins fermes du diolinoir, assemblé à du souple merlot, dans un assemblage à succès. Mais à goûter l’une ou l’autre barrique du cépage bordelais, un pur merlot ne dépareillerait pas à la collection Réserve… Avec 25 hectares, en majorité rouge, le champ des possibles s’étend à l’infini. Sans renoncer aux fondamentaux : les Frères Dutruy sont attachés au gamay, élevé lui aussi en barriques. Le projet de la Mémoire des vins suisses, qui suit des vins dans le temps et les fait déguster à des journalistes du monde entier, a jeté son dévolu sur le gamay, seul représentant de son cépage sur la cinquantaine de crus de son «trésor».

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Ici, une «Cuvée» unique a célébré le millésime 2009, le plus remarquable, climatiquement, de toute l’histoire de la vigne vaudoise et romande. Un vin d’une grande élégance, puissant et gras, qui a gardé une belle fraîcheur, avec une finale épicée : qui devinerait que le gamay y est présent à 85%, complété par du gamaret, un assemblage élevé 36 mois en barriques ? Vendu 55 francs la bouteille, cette «cuvée» s’est arrachée en une soirée de lancement. «On ne la refera que dans les bonnes années», disent en chœur les deux frères. A quand la prochaine ? «On devrait y arriver avec les 2014». Premier millésime de la nouvelle cave, la dernière année à la météo chahutée a convenu à ceux qui ont maîtrisé les rendements et les vinifications. Le genre de défi que les Frères Dutruy relèvent avec panache depuis dix ans. «J’en ai encore pour trente ans», confie en souriant Julien. De quoi justifier un investissement à plus de trois millions de francs. Et on se réjouit de goûter toute la gamme, des vins blancs aromatiques, jusqu’aux rouges équilibrés et élégants, dans les millésimes futurs.

 www.lesfreresdutruy.ch

Paru dans Plaisirs et Gastronomie Magazine, numéro 1, 2015. ©thomasvino.ch