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Posted on 21 mars 2015 in Vins italiens

La saga du Sagrantino

La saga du Sagrantino

A l’heure où il faut savoir raconter une histoire autour du vin, les Italiens n’ont pas leur pareil pour faire parler le terroir. Exemple avec le Sagrantino de Montefalco, en Ombrie.

De retour d’Italie, Pierre Thomas

Au sud de Pérouge, Montefalco, c’est l’Italie comme on l’aime. Une cité perchée sur une colline, entourée de ses remparts médiévaux. Une rue en pente, nord-sud, qui débouche sur une place circulaire, où trône le Palazzo Communale en pierre blonde. Et où rien ne manque : l’office du tourisme, le théâtre, un restaurant à la cuisine inventive, au rez d’un petit palais transformé en hôtel quatre étoiles, un café-bar sous les arcades, une œnothèque et une épicerie. Et un matou roux qui roucoule et réclame sa belle sous la fine pluie du printemps…

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Sous la protection de Saint François et des franciscains

La rue principale de ce Gruyères d’Ombrie est bordée de petits restaus et d’œnothèques. A trois pas de la place, il faut visiter le complexe muséal de San Francesco, un ancien couvent où le Florentin Benozzo Gozzoli a illustré, au milieu du 15ème siècle, dans l’abside de l’église gothique restaurée en pinacothèque, une admirable vie de Saint François d’Assise, qui vous vrille le cou et la tête…

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On y a joint le culturel à l’agréable : un bar à vin célèbre le Sagrantino local. Et dans un recoin du musée, figure quelques outils de vigneron, dont un petit pressoir attestant que les franciscains tiraient, ici, un vin à base de raisins passerillés de sagrantino. Le vin rouge sec est venu plus tard — et une version liquoreuse persiste.

Il n’est de Sagrantino que de Montefalco. Une étude vient de confirmer que ce raisin autochtone est le plus tannique et le plus riche en polyphénols du monde, devant le tannat d’Uruguay — mais le divico, nouveau croisement de Changins, n’était pas du lot. A la dégustation du dernier millésime mis sur le marché, le 2011, il faut s’accrocher. Pour décrire l’année, le Consorzio (qui regroupe 56 caves) a convié au théâtre une sommité, Riccardo Cotarella. Il vient d’accèder à la coprésidence de l’Union internationale des œnologues et est chargé de piloter l’offre des vins d’Italie à l’Expo Milano, qui s’ouvre le 1er mai (jusqu’au 31 octobre). Mais c’est aussi le régional de l’étape : il signe lui-même son Sagrantino, de Falesco, une des étiquettes phares d’Italie, lancée avec son frère, Renzo, œnologue d’Antinori. Et il a repris depuis cinq ans la consultance des domaines rattachés à la Fattoria del Cerro, à Montepulciano, en Toscane, et de sa «succursale» locale, Colpetrone. Cette cave à l’américaine est, avec Arnaldo Caprai, un des fers de lance du renouveau du Sagrantino, au début des années 1980.

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Un vin noir pour connaisseurs

Un vin noir, tannique, puissant : plutôt que l’abâtardir, les producteurs l’ont voulu sans compromis. Riccardo Cotarella le proclame : «Le Sagrantino est le vin le plus apte à un long vieillissement. Il est donc réservé aux passionnés. Il plaît ou ne plaît pas.» Le cahier des charges, au plus haut niveau de la hiérarchie italienne, la Dénomination d’origine contrôlée et garantie (DOCG), exige du Sagrantino 100% d’un raisin qui mûrit tardivement, en octobre.

A côté de cet intransigeant, les vignerons produisent un assemblage, Montefalco rosso DOC, où une majorité de sangiovese – le grand cépage de Toscane et d’Ombrie, sa voisine du sud — est assemblé avec du sagrantino et une autre variété. Certains y mettent de la barbera, d’autres du montepulciano, et la plupart, du merlot. Et puis, plusieurs se sont lancés dans un blanc local, qui a récemment obtenu la DOC, le Trebbiano Spoletino. «C’est tout l’inverse du Sagrantino : le marché est impatient qu’on lui en fournisse. Tandis que c’est plus difficile de convaincre avec notre rouge qui doit impérativement vieillir», confie, autour d’un plat de salaisons maison, l’impétueux Giampaolo Tabarrini. Dans sa cave moyenne, impeccablement tenue, il vinifie séparément plusieurs «crus» de Sagrantino et est un des pionniers du Trebbiano Spoletino, une variété qui, jadis, avait besoin d’un arbre pour s’appuyer et se développer en longues branches. A la dégustation de vieux millésimes, son Colle Grimaldesco 1999 était formidable, dans un style très mûr approchant un amarone, comme un 1996 d’Antonelli, aux tanins (enfin) souples, un Perticaïa 2003 et Scacciadiavoli 2002, trois autres domaines remarquables. Et, malgré dix ans de recul, la plupart des 2004 avaient gardé une fraîcheur étonnante…

L’élevage en bois, clé du Sagrantino

Au sud de la Toscane, Montefalco a attiré, comme dans une ruée vers l’or, une foule d’investisseurs en tout genres, comme, en Espagne, Toro, l’appellation satellite de la Ribera del Duero. Chacun y va de sa recette. L’obligation d’élever le Sagrantino au moins 12 mois en fûts — en réalité, entre 18 et 36 mois… — exige un doigté particulier. Certains, comme Chiara Lungarotti, propriétaire de la principale cave d’Ombrie, à Pérouge, conseillée par le professeur bordelais Denis Dubourdieu, ne jurent que par la barrique neuve. D’autres, comme Colpetrone, supervisé par Riccardo Cotarella, utilisent des barriques d’un deuxième ou troisième vin.

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Après une carrière dans les soupes, chez Nestlé, et la bière, le Milanais Peter Heilbron, de la Tenuta Bellafonte, ne fait qu’un seul vin, conseillé par le Piémontais Beppe Caviola : «Je cueille mes raisins plus tôt que les autres. Je les vinifie en baies entières ; je fais des macérations courtes, puis la fermentation avec des levures indigènes en cuve inox. Et ensuite, trois ans en fûts de 5’000 litres. Mon vin n’est ni collé, ni filtré.» Son 2010, d’une belle élégance, aux tanins polissés, vient d’arriver chez son importateur suisse. Il le propose à un prix (45 francs la bouteille) à peine inférieur à un Brunello di Montalcino ou à un Barolo. Le Sagrantino joue dans la cour des grands !

Un discours «durable»

Pour se faire connaître, Montefalco a l’habitude des «coups médiatiques». Ce printemps, le Consorzio s’est raccroché aux «anteprime» toscanes. Soit la présentation du millésime 2011, après une année 2014 la plus froide et pluvieuse depuis 30 ans, où une mouche («bactrocera oleae») a presque entièrement dévasté les oliviers, l’autre richesse de l’Ombrie.

Il y a quelques années, Montefalco avait annoncé mettre en place une hiéarchie de crus: «On a présenté le projet aux journalistes : c’est le premier et seul jour où on en a parlé», rigole aujourd’hui Chiara Lungarotti, peu favorable à une telle classification, aussi aléatoire qu’à Saint-Emilion. Reste la tendance à la mode : le développement durable. Marco Caprai défend le «décalogue» de la «Montefalco 2015 New Green Revolution» (en anglais of course), projet lancé en 2009, et signé par plusieurs caves : conduite technique des vignes à un haut niveau, réduction des ressources, conservation du paysage et de la biodiversité, traçabilité du produit, mais aussi respect de la sécurité au travail et dialogue avec les clients, entre autres. L’Interprofession de la vigne et du vin du Valais propose un projet similaire, lié au label «marque Valais», adapté aux vins, dans le programme Viti Horizon 2020, soumis à consultation jusqu’à fin mars. (PTs)

Publié dans le quotidien La Liberté du 18 mars 2015.