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Posted on 17 mai 2015 in Vins italiens

L’Amarone menacé par le Ripasso ?

L’Amarone menacé par le Ripasso ?

A lui seul l’Amarone, exporté à 80%, représente 20% des vins produits dans la Valpolicella, mais 60% de leur valeur. A l’heure où on célèbre un grand millésime 2011, la médaille a son revers. Face à la diversité des styles, à l’augmentation des prix et aux mauvais millésimes qui s’annoncent, le vin phare risque-t-il d’être menacé par son bâtard, le Ripasso?

De Vérone, Pierre Thomas

Fin janvier, pour la douzième fois, le Consorzio de tutelle des vins de la Valpolicella a célébré son Anteprima : 64 des 277 embouteilleurs ont fait déguster leurs vins du millésime 2011. Notée 5 étoiles sur 5, l’année a bénéficié de conditions idéales au meilleur moment. Car, comme le rappelle l’œnologue Diego Tomasi, «l’histoire de l’amarone commence avec les vendanges». Un automne sec et ventilé, comme en 2011, est idéal. Non seulement il permet de produire des raisins mûrs et sains, mais encore il influe sur le processus clé de l’Amarone, l’«appassimento». Les baies perdent jusqu’à 40% de leur poids en 100 à 120 jours de passerillage, dans des granges, les «fruttai». Et elles gagnent jusqu’à 5,5% d’alcool, avec un sucre résiduel qui peut se monter à 16 g. pour les vins les plus riches (17,5%). Et c’est là que le bât blesse.

«Le marché est saturé d’Amarone à 16 et 17%», dit-on chez Cà Rugate, une cave moderne. Son Amarone 2011 affiche 15% pour 11 g. de sucre résiduel, et ça se sent à la dégustation : trop riche, trop doux ! La cave va donc sortir pour l’exposition Vinitaly, à Vérone (22 au 25 mars), un Amarone à 14%. C’est le minimum d’alcool exigé par le cahier des charges depuis que l’Amarone est devenu une des 73 «dénominations d’origine contrôlée et garantie» (DOCG) d’Italie, avec le millésime 2010.

Une affaire d’argent… et de goût

Avec 13 millions de litres (contre 8 en 2009), l’Amarone tire en avant toute la Valpolicella et ses 7’500 ha cultivés par 2’500 vignerons. Le Ripasso, un «petit» Amarone, est à 24 millions de litres et le Valpollicella classique, un rouge en principe sec, est à 20 millions de litres. «Il n’y a pas de pyramide de qualité», déplore Christian Scrinzi, chez Bolla, une des caves historiques de la région. «L’Amarone devrait être au sommet, et le Ripasso en quantité intermédiaire, au-dessus d’une base de vins des cépages traditionnels de la Valpolicella. Car l’Amarone est un vin cher, pour lequel on prend des risques. Il est moins onéreux d’élaborer un Chianti Classico ou un Primitivo des Pouilles», explique celui qui est le directeur de production du puissant Gruppo Italiano Vini, soit quinze grandes caves dans toute l’Italie.

Ces considérations économiques s’accompagnent de constats organoleptiques. «La tendance est aux vins souples, gras, puissants en alcool, à boire rapidement. Alors que la force de la Valpolicella, c’est la grande acidité des vins, qui leur permet une longévité de vingt ans et plus», explique Stefano Cottini, à la tête d’un domaine de taille moyenne, Scriani. «La course au sucre a déjà tué le Recioto, notre vin rouge doux passerillé, l’ancêtre de l’Amarone», dit-il.

Le passerillage, qui modifie profondément le raisin, puis un long élevage de deux ans en bois, barriques ou grands fûts, au choix de la cave, et un an en bouteille, influence grandement les vins. Davantage que sur des vins rouges classiques, ces différences sont très marquées d’une maison à l’autre. Et les styles évoluent au fil des périodes.

Trois millésimes difficiles à venir

De quoi sera fait l’Amarone de demain ? Il va au-devant de millésimes difficiles : 2012 est l’année la plus chaude depuis 2003, 2013, au contraire, est hétérogène et froide. Et 2014 est qualifiée de «catastrophique» : il a fallu réalise deux fois plus de traitements dans les vignes (24 au lieu de 12 !) pour obtenir des raisins corrects à la vendange, et encore, la région n’a-t-elle pas connu d’attaque de mouche suzukii, comme la Suisse. Alors que le Consorzio avait décidé de ne passeriller au maximum que 50% des meilleurs raisins, cette proportion a été ramenée à 35%.

L’ensemble de ces conditions pourraient faire l’affaire du Ripasso. En principe, ce rouge est fait en deux temps : d’abord une vinification en rouge traditionnel, malolactique faite, au début de l’hiver, puis une refermentation sur le marc de l’Amarone et du Recioto, en janvier, qui lui donne du corps et lui fait gagner 1 ou 2% d’alcool. Sa production est limitée à un facteur de deux litres de Ripasso pou un litre d’Amarone.

La revanche du Ripasso bâtard ?

La plupart des Ripasso titrent 14%, soit le volume d’alcool des Amarone des années 1990… Avec l’autorisation récente d’assembler 15% d’Amarone dans le Ripasso, sa qualification de «vin bâtard» se renforce. Un autre phénomène frappe l’Amarone : son prix ne cesse de grimper, pas toujours en fonction de la qualité du vin, alors que le Ripasso, plus facile à élaborer, est naturellement moins cher, avec une bonne marge. Les acheteurs suisses ont mis le holà : la Suisse est le seul pays où, en 2014, le prix de l’Amarone en supermarché a baissé, de 7% selon une étude comanditée par le Consorzio. La Suisse figure au 6ème rang des pays importateurs, avec une valeur de 50 millions d’euros, soit le cinquième du chef de file, l’Allemagne. C’est aussi la Suisse, restée son premier marché, qui, chez Cà Rugate, avait réclamé que la cave élabore un Ripasso, il y a douze ans. La version 2012 titre 14,5% d’alcool pour 7 g. de sucre résiduel ; souple, il a gardé des arômes de fruits rouges, de cerise, avec une bonne longueur et une note un peu sèche et chaude en finale. Soit des valeurs et un commentaire de dégustation qu’on aurait très bien pu faire sur un Amarone de tendance dite moderne d’il y a dix ou quinze ans !

Paru dans Vins & Vignobles, Montréal, édition de mai 2015.

©thomasvino.ch