Pages Menu
Categories Menu

Posted on 13 juin 2014 in Tendance

Un but convoité  faire boire plus de vin aux Brésiliens

Un but convoité
faire boire plus de vin aux Brésiliens

Le Brésil partage avec la Chine, l’Inde et la Russie — quatre des BRICs, auxquels s’ajoutent l’Afrique du Sud — l’espoir d’un marché du vin en forte croissance. La Coupe du Monde de football, dès cette semaine, puis les Jeux olympiques à Rio de Janeiro, en 2016, sont deux occasions rêvées pour viser des consommateurs encore timides.

Par Pierre Thomas, de retour de Brasilia, textes et photos ©

Les 205 millions de Brésiliens, dont une «classe moyenne» en forte croissance, attirent les convoitises. L’ex-royaume installé par les Portugais a l’habitude de consommer de l’alcool : près de 65 litres de bière par tête et la «cachaça» locale, tirée de la canne à sucre. Cet alcool blanc est servi en cocktail rafraîchissant, connu sous nos latitudes aussi, la «caipirinha», mais aussi à table, pour digérer ce plat national, rituel de fin de semaine qu’est la «feijoada», une potée de haricots noirs et de diverses viandes de porc.

Vins brésiliens : priorité à l’export

Dans une Amérique latine portée sur le vin — le Chili et l’Argentine en sont de grands producteurs et exportateurs —, le Brésil y a échappé. Pourtant, une industrie vitivinicole locale existe, qui produit tant des vins mousseux, reconnus dans le monde, que des vins rouges de bonne facture. Logiquement, c’est un jeune producteur local, qui vient de fêter ses dix ans d’existence, Lidio Carraro, installé dans la biennommée Vale dos Vinhedos, au sud, à deux heures de voiture de Porto Alegre, qui s’est offert la licence des «vins officiels de la Coupe du Monde de football». Avec un blanc, un rosé et un rouge, ce domaine a profité de se profiler à l’exportation, notamment en France et en Belgique, mais, selon nos informations, sans succès en Suisse. Pour l’occasion, sa jeune œnologue d’origine italienne, Monica Rossetti, a concocté, dans la ligne Faces, un assemblage rouge à base de… onze cépages !

La présidente du Brésil, Dilma Russeff, reçoit les trois vins officiels de la Coupe du Monde de football des mains de l'oenologue Monica Rossetti

La présidente du Brésil, Dilma Russeff, reçoit les trois vins officiels de la Coupe du Monde de football des mains de l’oenologue Monica Rossetti

Cette débauche d’énergie montre que, vu du Brésil, le succès des vins locaux devrait se jouer… à l’export. En 2012, les exportateurs, dont le principal est Miolo, mais aussi la coopérative Aurora ou le géant Salton, ont obtenu des pouvoirs publics une aide importante à l’exportation, faute d’avoir pu négocier des mesures protectionnistes aux frontières. Une stratégie offensive qui devrait faire rêver les vignerons suisses !

Des boutiques de vins confidentielles

Lors d’un récent voyage au Brésil, en mars — à Brasilia, pour présenter une sélection de vins suisses dans une école hôtelière, puis à la résidence de l’ambassadeur de Suisse, lors de la Semaine de la Francophonie —, j’ai pu appréhender le marché du vin brésilien. La ligne des vins de Lidio Carraro est certes présente dans la capitale, ville surgie de nulle part en 1960, sous la conduite du grand architecte Oscar Niemeyer, mais principalement dans des restaurants. C’est dans ce secteur Horeca que 30% des vins sont consommés. Dans les grandes villes, comme Sao Paulo (18 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (13 millions) se développe une certaine culture du bar à vins.

Au bord du lac artificiel, véritable poumon de Brasilia (2,5 millions d’habitants), un des meilleurs restaurants tenait une belle vitrine (climatisée !) de vins, nationaux et internationaux. Avec une «moqueca», sorte de bouillabaisse de Salvador de Bahia, j’y ai bu un excellent assemblage de chenin et de viognier de la cave Santa Maria, un vin blanc vif et frais, élaboré dans la vallée de San Francisco, dans la région tropicale du Pernambouc.

br_boutiquevinsport

A Brasilia, j’ai visité deux points de vente, l’une proche d’un centre commercial, où des vins italiens et français, plutôt de bas de gamme, voisinaient avec les meilleurs crus portugais, eux de haut de gamme. Que j’ai retrouvés, près de mon hôtel, dans un quartier d’affaires de la capitale, où une boutique (photo ci-dessus) était consacrée aux vins de la famille Roquette (Quinta do Crasto, dans le Douro, Esporao, dans l’Alentejo), propriétaire de la banque Espirito Santo, présente à Lausanne. Dans une grande ville comme Salvador de Bahia, où le stade local est sponsorisé par le producteur de bière locale Itaipava, comme le montrent d’immense affiches sur les infrastructures, le dernier des chics, comme dans ce restaurant sur le front de mer, fréquenté par les «happys fiews» locaux, est de pouvoir présenter une carte des vins bien fournie… sans la moindre référence brésilienne!

Le Stade de Salvador de Bahia payé par une brasserie locale.

Le stade de Salvador de Bahia payé par une brasserie locale.

Un marché en pleine croissance

Au contraire des Chinois, volontiers chauvins dans leurs choix de vins, les Brésiliens de la classe moyenne préfèrent boire «étranger», exhibant ainsi un signe extérieur de culture et d’aisance matérielle. La proximité de deux gros exportateurs, l’un du Mercosur, l’Argentine, l’autre apte à fournir une large palette de vins, du moins cher au plus cher, le Chili, fait que ces deux pays représentent 60 % des vins importés vendus au Brésil. Ces bouteilles se retrouvent au supermarché, où deux tiers des vins sont achetés.

Dans la perspective de la Coupe du Monde et des Jeux olympiques, et de l’affluence de touristes qui pourraient s’attendre à pouvoir boire du vin sur place, le cabinet canadien Global Wine & Spirits a publié, il y a quelques mois, une étude du marché du vin brésilien. Jusqu’ici, le Brésil importe 75 millions de litres de vins : c’est deux fois moins que la Suisse ! La consommation par tête n’atteint juste pas 2 litres de vin par habitant et par année.

Pourtant, l’Institut brésilien du vin (IBRAVIN) prévoit que, dans les 15 prochaines années, ce chiffre sera porté à 9 litres… à multiplier par 205 millions d’habitants. Ca n’est pas la Chine, certes, mais on sait qu’elle consommera d’abord des vins locaux, tandis que le marché brésilien paraît plus ouvert. Jusqu’ici, les formalités administratives et les taxes sont dissuasives. Seuls les vins «latinos» échappent un peu à ces deux chicanes. Mais, paradoxalement, même pas les vins indigènes, taxés à hauteur de 60% du prix payé— une bouteille de vin de moyen de gamme coûte autour de 25 à 30 francs suisses.

Un climat peu favorable à la vigne

Le climat du Brésil, le plus vaste pays d’Amérique du Sud, chaud et humide, n’est pas le plus favorable à la culture du meilleur raisin. Certes, il s’apparente à son voisin du sud, l’Uruguay, qui produit de magnifiques tannat. Une partie des vignobles brésiliens ont «émigré» à sa frontière, entre l’Alto Uruguai et la région de Campahna, pour échapper aux conditions climatiques pluvieuses de la Serra gaucha.

Vignoble de montagne en terrasse comme dans la vallée du Douro (Portugal).

Vignoble de montagne en terrasse comme dans la vallée du Douro (Portugal).

Les 80% des 87’000 hectares de vigne du Brésil se trouvent dans cette partie sud du pays, dans l’état du Rio Grande do Sul, et cette surface — presque six fois le vignoble suisse ! — comprend autant des raisins de table que des hybrides peu qualitatifs, des raisins de cuve pour des mousseux et une large palette de cépages rouges, comme le merlot, le cabernet franc, le cabernet sauvignon, le sangiovese ou le tempranillo. Au total, la production des «vins fins» du Brésil se monte à 20 millions de litres par année, soit un cinquième de la production suisse.

Comment expliquer le désintérêt, pour ne pas dire le mépris, des Brésiliens pour leurs vins indigènes ? La clé se trouve dans les livres d’histoire. «Découvert» en 1500 par Pedro Alvares Cabral, qui accoste à Porto Seguro, sur la côte atlantique — là où l’équipe de Suisse de football vient d’établir son camp —, le Brésil voit pousser ses premières vignes dans la région de Sao Paulo en 1532. Mais sans avenir. Car comme l’explique le journaliste suisse Jean-Jacques Fontaine dans un livre qui vient de paraître («L’invention du Brésil», 260 pages, L’Harmattan), «entre le Portugal et sa colonie, les choses étaient claires : le Brésil fournissait le sucre, exclusivement destiné au marché lusitanien, mais pas question d’y installer des manufactures, d’y cultiver la vigne ou d’y extraire du sel, des monopoles que la métropole se réservait dans le commerce avec ses territoires d’outre-mer.»

Presque deux siècles après l’indépendance (1822), l’ex-colonie portugaise s’est hissée au sixième (ou septième) rang des économies planétaires. Mais pas encore pour le vin, ni dans sa production, ni dans sa consommation.

 

Les trois vins blanc, rosé et rouge, de Lidio Carraro pour la Coupe du monde de foot.

Les trois vins blanc, rosé et rouge, de Lidio Carraro pour la Coupe du monde de foot.

 

Des régions viticoles extrêmes

Hormis l’exception des vins mousseux, souvent élaborés en cuve close, comme en Italie du nord, les Brésiliens préfèrent les vins rouges structurés, élevés en fûts de chêne, qui se marient bien avec de la viande grillée (le carrousel de viande servie à gogo, le «rodizio»). Avec l’appui de l’«œnologue volant» bordelais Michel Rolland, très impliqué en Argentine, et désormais du Toscan Roberto Cipresso, installé à Montalcino, Miolo, qui revendique le titre de plus gros exportateur, et dont la maison mère est installée au cœur de la Vale dos Vinhedos, élabore des cuvées rouges toujours plus intéressantes. Elle est aussi présente dans ce nouvel eldorado qu’est la vallée de Sao Francisco, au nord-est de Salvador de Bahia, où 500 hectares de vignes y ont été plantés ces 30 dernières années. Dans cette viticulture des extrêmes, le contrôle de la croissance de la plante s’exerce par le goutte-à-goutte, seul capable de faire pousser des ceps dans une région désertique.

Le Brésil ne craint pas les extrêmes : au sud, non loin de la station balnéaire huppée de Fioranopolis, presque 200 hectares de vignoble sont cultivés jusqu’à 1’300 mètres d’altitude, dans les environs de la ville de San Joachim. Un Portugais, sous le charme des gorges du Rio Lavatodo («lave tout»), a entrepris d’y tailler au bulldozer des terrasses ressemblant aux «patamares» de la Vallée du Douro. Les producteurs de ces «vins de montagne» ont même un label pour distinguer leurs crus : un cristal… de neige !

A Rio, on trinquera vaudois !

La semaine prochaine, Pierre Keller, président de l’Office des vins vaudois, et son collaborateur Benjamin Gehrig, feront un voyage-éclair à Rio de Janeiro, où «Présence suisse» a installé sa «maison». Il y a deux mois, Pierre Keller a fait expédier mille bouteilles de vins vaudois, du rouge, le Vin des Croisés, pinot noir 2011, de la Cave des viticulteurs de Bonvillars, et du blanc, du chasselas La Rionde, Saint-Saphorin, 2012, et du viognier 2012, du Château du Châtelard, tous deux fournis par Patrick Fonjallaz, à Epesses. Ces trois vins seront servis à des invités de la Confédération, le 18 juin, puis, le lendemain, dans l’hôtel qu’a réquisitionné pour la durée de la Coupe du monde de football, Jean-Claude Biver, à Copacabana, pour la marque de montres Hublot, lors d’une soirée de gala.

Souvenir de la dégustation donnée dans une école hôtelière de Brasilia, durant la Semaine de la Francophonie en mars 2014.

Photo-souvenir de la dégustation donnée dans une école hôtelière de Brasilia, durant la Semaine de la Francophonie en mars 2014.

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 12 juin 2014.