Pages Menu
Categories Menu

Posted on 10 avril 2014 in Tendance

Bordeaux & Co  VinoBusiness… as usual

Bordeaux & Co
VinoBusiness… as usual

C’est le livre du moment à lire : VinoBusiness, d’Isabelle Saporta, édité par Albin Michel. 250 pages écrites en gros caractères, faciles à lire, en 25 courts chapitres, où l’auteur enfonce le clou. Sur quatre grands axes du business du vin: le monde de Bordeaux, centré sur le classement des crus de Saint-Emilion, l’influence des Chinois en France et chez eux, l’extension de l’aire d’appellation Champagne, avec la promesse de déclassement de certaines vignes, enlisée depuis dix ans, et, finalement, les résidus de produits chimiques contenus dans le vin, passés sous un silence de plomb.

Commençons par cette fin-là. Va-t-on vendre, bientôt, le vin sur ordonnance médicale ou comme un médicament, avec un prospectus mentionnant les substances qu’il contient et les contre-indications éventuelles ? Dans sa «conclusion», Isabelle Saporta écrit : «Comment est-il possible qu’en ces temps si friands d’écologie et si prompts à dénoncer les risques, le vin puisse jouir d’une pareille impunité en matière de pesticides, le faisan ainsi échapper aux règles qui régissent tous les autres mets ? (réd. : on aurait écrit aliments…) Ce divin breuvage sortirait pourtant grandi d’afficher la couleur des produits phytosanitaires et œnologiques utilisés pour sa fabrication. Qui sait ? Peut-être que de se soumettre à un étiquetage précis, à un peu plus de transparence, couperait à nos vignerons l’envie d’en user ?»

Les milieux vitivinicoles du monde entier (suisses compris !) se sont toujours battus pour ne pas devoir préciser comment le vin est fait, avec quels produits. Curieusement, daté de mars 2014 (impression), ce brûlot reprend une des thèses émises par… Bob Parker. Comme dans le film Mondovino, le gourou américain, qui a vendu son Wine Advocate à des Chinois de Singapour, paraît comme un des grands artisans du bordeaux, produit de luxe moderne, avec sa connection avec Michel Rolland, autre «victime» de Mondovino, et qui a contre-attaqué dans un livre.

Mais, curieusement, la journaliste française et le critique américain, qui s’est toujours dit disciple de l’avocat consumériste, et candidat récidiviste à la présidence américain, Ralf Nader, paraissent d’accord sur un point. Dans ses 15 «prédictions» pour 2014, balancées sur son compte twitter il y a quelques mois, l’oracle étatsunien, faisait figurer en point 10 : «Le gouvernement va finalement exiger des étiquettes de vins qu’elles révèlent l’apport calorique et les ingrédients.» En point 15, il donnait aussi une explication au «désamour» à l’égard du champagne, produit français de luxe : «Les ventes croissantes de Prosecco italien et de Cava espagnol érodent une partie du profit et du glamour de la Champagne.» Hormis la bataille que se livrent les grands groupes de Champagne, LVMH comme Vranken (Pommery), voilà une explication du peu d’empressement d’agrandir l’aire d’appellation, après les envolées commerciales millénaristes au tournant de l’an 2000.

La méthode de travail d’Isabelle Saporta pour VinoBusiness n’est guère différente de celle de Jonathan Nossiter pour Mondovino : réussir à amadouer les acteurs du milieu, pour qu’ils fassent des confidences, et «monter» le document final en citant largement les acteurs, souvent à contre-emploi.

Ceux qui ne le savent pas encore apprendront comment les dégustations des primeurs sont «une véritable mascarade», à laquelle, en avril 2014, quelque 5’000 acteurs, journalistes et négociants, ont participé gaiement. Et comment Bob Parker fait le beau temps, davantage que la pluie, dans le Bordelais, dans le sillage de son ami le «flying winemaker» Michel Rolland — en 2014, Bob Parker, tout occupé à faire le tour du monde en dîner de prestige, se fera envoyer des échantillons de primeurs 2013 chez lui en mai, dit-on… Comment aussi, les épisodes judiciaires rocambolesques autour des nouveaux classements des crus de Saint-Emilion, ont fait des heureux, comme Hubert de Boüard (Angélus) et Gérard Perse (Pavie, lire ses confidences), et quelques malheureux. Comment, dans le sillage de Parker, le Dr Alain Raynaud attire des clients jusqu’en Suisse.

Last, but not least, le bordeaux produit de luxe entraîne une plus-value démentielle des domaines et du foncier, que seuls peuvent se payer des milliardaires de l’industrie, comme Bernard Arnault (Cheval-Blanc, Yquem), François Pinault (Latour) ou des institutionnels… et quelques nouveaux riches chinois. Dans ce «star system», le Chti autodidacte, Stéphane Derenoncourt, qui revendique de faire du vin comme on fait la cuisine, et Pascal Châtonnet, à la tête d’un laboratoire d’analyses, s’en tirent un peu mieux que Hubert de Boüard, Michel Rolland, Jean-Paul Thunevin ou le critique Jean-Michel Quarin qui tente de se poser en «anti-Parker» depuis quinze ans.

Ce voyage critique dans le pays de cocagne des grands crus, où l’Institut des appellations d’origine (INAO) est cloué au pilori, vaut le détour et se lit comme un polar. Jusque dans l’omertà dans laquelle se drape le milieu du vin… hélas sous toute latitude et à toute échelle, même modeste.

Pierre Thomas

Vino Business, Isabelle Saporta, Albin Michel, 254 pages, mars 2014, 19 euros.