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Posted on 26 mars 2014 in Vins suisses

CH comme chasselas

CH comme chasselas

Le projet de la Mémoire des vins suisses a fait salle comble à Lausanne, début mars. Lancé par des journalistes zurichois et des producteurs de tout le pays, il y a douze ans, la MDVS défend l’image de la diversité des vins suisses illustrées en 54 exemples.

Par Pierre Thomas

Le journaliste Andreas Keller et le président vaudois Charles Rolaz. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

Le journaliste Andreas Keller et le président vaudois Charles Rolaz. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

L’idée de départ était simple, pour Christian Zündel, un des «mousquetaires» alémaniques rénovateurs du merlot du Tessin, et Stefan Keller, journaliste, aujourd’hui relayés par le Vaudois Charles Rolaz, (lire son interview ici), patron de Hammel à Rolle, président, et Andreas Keller, autre journaliste zurichois, et leur comité: réunir des «producteurs» et des «prescripteurs» pour suivre dans le temps l’évolution des vins suisses. On le sait, ils ont la réputation de mal vieillir, en blanc comme en rouge. Les vignerons partenaires, choisis sur dégustation par un jury de journalistes, s’engagent à mettre à disposition 60 bouteilles du vin élu, année après année. Des dégustations régulières, en interne, pour commenter les vins sur le site Internet de la Mémoire, et publiques, à l’assemblée annuelle, mais aussi à Düsseldorf, à l’occasion du salon ProWein, fin mars, et à Zurich, pour Mémoire & Friends, le dernier lundi d’août (le 25, en 2014), permettent de juger sur pièce. Le «trésor» accumulé durant douze ans représente aujourd’hui 30’000 bouteilles…

Le projet a évolué : décès, transmission de domaines à la nouvelle génération, retraits. Mais aussi acceptation de nouveaux membres : trois l’ont été cette année, les frères Dutruy, de Founex (VD), le Valaisan Robert Taramacaz et le Tessinois Enrico Trapletti. Trois vignerons, jeunes et déjà reconnus. Ils ont été acceptés non pas pour leur talent, mais pour l’expressivité d’un de leur vin, à chaque fois premier représentant dans la MDVS : un gamay vaudois, une humagne blanche valaisanne et un nebbiolo tessinois.

Le Valaisan Robert Taramarcaz et le Vaudois Julien Duruy entourent le Tessinois Enrico Trapletti. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

Le Valaisan Robert Taramarcaz et le Vaudois Julien Duruy entourent le Tessinois Enrico Trapletti. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

Conservatoire ou club élitaire ?

Deux journalistes étrangers invités dans le canton de Vaud, Gianni Fabrizio, de Rome, l’un des rédacteurs en chef du prestigieux guide italien Gambero Rosso, et Eckhard Supp, de Hambourg, actif sur Internet, sont intrigués sur le rôle de la Mémoire. Est-elle un conservatoire de vieux cépages helvétiques ? Ou alors club de l’élite des vins suisses ? Pour eux, le rôle n’est pas clair. Et, de fait, la Mémoire n’est ni l’un, ni l’autre. Certes, elle a accepté des cépages typiques de leur lieu de production, comme le seul vin «fribourgeois», le traminer du Vully, de Christian Vessaz, du Cru de l’Hôpital, à Môtier.

Parce qu’elle exige une participation sur la durée, la Mémoire n’est pas un palmarès annuel des vins de Suisse. Des meilleurs vignerons serait plus exact. Car comme il faut juger les restaurants gastronomiques sur la régularité, les grands vignerons se révèlent d’abord dans les «petits» millésimes. Gianni Fabrizio explique : «Il n’y a pas que des grands vins, ici. Même si le cornalin de Denis Mercier et la syrah d’Axel et Jean-François Maye sont sans doute les meilleurs de Suisse. J’ai bien apprécié les pinots noirs des Grisons, les merlots du Tessin, que je connais mal, même si je vis en Italie! Et les chasselas ont été une vraie révélation.» «La Mémoire est une excellente idée. En Allemagne, parce qu’il n’y a pas de solidarité entre les vignerons, on ne pourrait pas monter un tel projet», remarque d’emblée Eckhard Supp. Le Hambourgeois a apprécié les blancs, le pinot gris du Grison Peter Wegelin, l’Heida de la Sankt-Jodern Kellerei de Visperterminen (VS), et les petites arvines sèches de Madeleine Gay, de Provins, et surmaturée de Marie-Thérèse Chappaz. «La surprise, ce fut vraiment les chasselas ! Il y a de grands trucs» Les deux journalistes ont «flashé» sur le chasselas de Féchy (VD) Le  Brez, de Raymond Paccot (lire l’encadré).

En fait de croisade pour le chasselas, ce fut aussi une croisière sur le Léman, face à Lavaux. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

En fait de croisade pour le chasselas, ce fut aussi une croisière sur le Léman, face à Lavaux. © Hans-Peter Siffert, weinweltfoto.ch

Croisade pour le chasselas

En Pays de Vaud, le «focus» avait été mis sur le cépage blanc le plus planté en Suisse (mais sur moins de 4’000 ha des 15’000 ha, et derrère le pinot noir) : sur les dix vins vaudois de la Mémoire, six sont des chasselas. Dégustation de vieux millésimes du Dézaley et du Calamin au Clos de l’Abbaye, propriété de la Ville de Lausanne, puis des microvinifications des premiers vins de quatre des 19 formes du cépages plantées au Conservatoire mondial du Chasselas à Rivaz : le panorama était vaste. Et, pour le public, élargi à un atelier sur l’évolution du chasselas, animé par José Vouillamoz. Dans le Swiss Wine Magazine, édité à l’occasion, le généticien revient sur les origines du cépage, certes orphelin de père et de mère, comme l’a démontré son analyse ADN. Mais tout concourt à montrer qu’il est vraisemblablement de vieille origine lémanique. Il est surtout en grande diminution : depuis 1986, la surface qui lui est dédiée est passée de 6’700 hectares à moins de 4’000 (3994 ha), soit 40% de moins. Dans les deux principaux cantons viticoles, il a reculé, de 60% en Valais (994 ha de fendant) et de 20% dans le canton de Vaud (2320 ha). Et, en chiffre absolu, la diminution (2706 ha) dépasse la surface vaudoise restante. Les vignes vieillissant, «il n’y aura pas de retour en grâce dans un futur proche», écrit le scientifique. «A plus long terme, à la faveur d’un retour des consommateurs vers des vins plus élégants, légers et digestes, on peut espérer une revalorisation du chasselas.»

Sur Internet : www.mdvs.ch

Eclairage

A table, sans sucre ajouté et sans malo

«Incomparable révélateur de terroirs», comme le dit José Vouillamoz, le chasselas tente, depuis 30 ans, d’échapper, dans les vignes, à la loi de la «haute sélection» (trop) largement plantée, (trop) productive. Mais aussi à une vinification linéaire. Le chasselas ne supporte pas l’élevage en fût de chêne, malgré quelques tentatives, plus ou moins réussies. Il faut donc travailler en amont. Trois jours après l’assemblée de la Mémoire à Lausanne, Simon Vogel, qui a repris avec sa sœur Maude le domaine familial Croix-Duplex à Grandvaux, présentait son chasselas «Paradoxe», «sans chaptalisation, ni malo», élevé sur lies bâtonnées (remuées).

Ces termes, techniques, recouvrent une réalité : le chasselas ne donne naturellement pas beaucoup de sucre et ne supporte guère la surmaturation. On y ajoute donc du sucre (de betterave) transformé en alcool, qui lui permet d’atteindre 12 à 12,5% volume. Quant à la fermentation malolactique, elle transforme, après la fermentation alcoolique, l’acide malique en lactique, plus tendre. Le malique, lui, peut faire passer un chasselas, même mûr, comme «vert», avec un goût de pomme Granny Smith, à la dégustation. Quant au «bâtonnage», il remet les lies en suspension dans la cuve et donne de l’épaisseur au vin.

Moins souples, plus acides, mais plus gras aussi, ces chasselas «new taste» dépassent l’apéro et supportent mieux d’accompagner des mets autres que la fondue ou les filets de perche à table : on les appelle «gastronomiques». Raymond Paccot, à Féchy, membre de la MDVS avec Le Brez, ne chaptalise plus depuis 2006 déjà, et ne fait plus de malolactique, ou alors partielle : «Peu d’alcool et beaucoup d’acidité, c’est compliqué à concilier. Mais quand on y arrive, le chasselas développe un autre fruit, plus frais, vers les agrumes, plus tendu aussi, qui s’exprime par de la fraîcheur en bouche.» Neutre et «au milieu», le chasselas oscille entre le chardonnay de Bourgogne, qui fait sa malo durant son élevage en barrique qu’il supporte et appelle, et le sauvignon de la Loire, où le cépage domine le terroir… sauf chez les plus grands. Vedette de Pouilly-sur-Loire, feu le Ligérien Didier Dagueneau avait nommé une de ses cuvées «Paradoxe». (Pts)

Paru dans le quotidien La Liberté, en mars 2014.