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Posted on 6 mars 2014 in Vins suisses

Interview de Charles Rolaz, Mémoire des vins suisses  Appelez-le Mister President

Interview de Charles Rolaz, Mémoire des vins suisses
Appelez-le Mister President

De ses études de droit à Londres, Charles Rolaz a gardé une distinction et une retenue toute britanniques. En quelques années, il est devenu un des hommes-clés du vin vaudois. Président de la commission des 1ers Grands Crus, mais aussi, depuis ce début d’année, du conseil d’administration de Hammel SA, il est à la tête, depuis le printemps passé, de la Mémoire des vins suisses, qui fait escale à Lausanne, ce week-end (www.mdvs.ch)

Interview par Pierre Thomas

Photo MDVS@Hanspeter Siffert

Photo MDVS@Hanspeter Siffert

Charles Rolaz, vous avez été élu président de la Mémoire des vins suisses. Pour vous, quel rôle doit jouer cette association ?

Elle doit promouvoir la qualité des vins suisses sur le plan national et international et contribuer à leur reconnaissance au-delà des frontières. Au départ, les vins ont été sélectionnés par des journalistes. Cette sélection doit être la plus représentative de la mosaïque très riche des terroirs et la diversité extrême des cépages, autochtones et internationaux.

En quoi le mouvement, fondé il y a onze ans à Zurich, est-il original ?

Le modèle est unique, avec à la fois des producteurs, des journalistes, des experts et des scientifiques. C’est une grande force de pouvoir réunir des gens de tous les milieux, et pas seulement des producteurs entre eux. La Mémoire est ouverte à diverses sensibilités, ne serait-ce que géographiques, et à divers points de vues. C’est un lieu d’échanges.

Il s’agit aussi de démontrer que les vins suisses ne doivent pas être bus dans l’année ?

C’est son but de départ : évaluer le potentiel de garde, le vieillissement, et la bonification des vins. Chaque producteur doit s’engager à mettre à disposition 60 bouteilles par millésime. Ces vins constituent le «trésor» de la Mémoire. Des dégustations, comme celle de Lausanne, ouverte au public, à l’occasion de l’assemblée annuelle de l’association, permettent d’y accèder.

Mais la «façade» publique ne se limite pas à l’assemblée, dans les six régions viticoles suisses, selon un tournus (dans l’ordre récent, Valais, Tessin, Vaud, Suisse alémanique, Genève, Trois-Lacs) ?

Non. A Zurich, nous sommes présents à Mémoire & Friends, au Kongresshaus, le lundi 25 août, mais aussi à Prowein, la grande exposition allemande, à Düsseldorf, tout prochainement, le samedi 22 mars.

La Mémoire des vins suisses est-elle une association de promotion comme les autres, alors ?

Elle a un but idéal, d’abord. Il s’agit de préserver le patrimoine vitivinicole suisse. Elle contribue à la promotion de l’image. Mais elle ne promet pas de retour sur investissement, comme on peut en attendre de Swiss Wine Promotion et de la SWEA, la société suisse des exportateurs de vins.

La Mémoire compte une cinquantaine de vins, donc de vignerons (un vin par producteur). Et vous devriez en accepter trois nouveaux cette année (réd., ce vendredi, lors de l’assemblée statutaire au Château de Grandson). A quand le club des 100 ?

Vous mettez le doigt sur un débat délicat. Comme dans les partis politiques, il y a des courants. Certains sont pour l’ouverture, d’autres pour le statu quo. Le comité que je préside, formé de trois journalistes et de trois vignerons, est clair : l’association ne doit pas rester figée et fossilisée. Au-delà de 50, il y a encore des producteurs de talent en Suisse ! On peut élargir le groupe sans diluer nos idées et nos buts. Pas forcément jusqu’à 100… On va y aller à petits pas, en tenant compte des vins qui manquent et de la nouvelle génération. Les trois nouveaux proposés cette année sont représentatifs de cela : une humagne blanche du Valaisan Robert Taramarcaz, un nebbiolo, et non un merlot, du Tessinois Enrico Trapletti. Et il nous manquait un gamay et un représentant de l’ouest vaudois, d’où le Gamay Grande Réserve des Frères Dutruy, à Founex. Je pense qu’il y a aussi la place pour un ou deux Genevois de plus…

Vous mettez le vin sur le devant de la scène ; avant l’homme qui le fait ?

L’homme fait partie intégrante du candidat. Nous sommes un groupe très soudé, avec des relations de confiance et de respect. La personne doit s’engager à long terme.. C’est un sacerdoce et un bénévolat pour un but idéal.

Quelle importance pour le canton de Vaud d’accueillir la Mémoire ?

Le tour des Vaudois n’arrive que tous les six ans. Nous avons donc sollicité le soutien de toutes les instances vaudoises, l’Office des vins vaudois, l’Office du tourisme du canton de Vaud (réd. : qui vient de signer un partenariat avec l’OVV), les politiques. Nous irons partout : à Grandson, à La Côte, dans le Chablais, à Lavaux, où la Ville de Lausanne nous reçoit ce jeudi dans ses domaines, avec trente journalistes, dont une moitié d’étrangers. C’est l’illustration concrète du projet d’œnotourisme, soutenu par le Canton, très important pour l’avenir autant de la branche vitivinicole que du tourisme et de l’hôtellerie. Le pays de Vaud a des atouts avec ses produits du terroir. Le Conseil d’Etat, qui sélectionne chaque année «son» fromage et «son» vin, parmi les 1ers Grands Crus, en est conscient.

Pourquoi avez-vous tenu à un repas de gala, animé par le chef Edgard Bovier et le meilleur sommelier du monde, Paolo Basso ?

Je voulais un événement qui fasse date. On a placé la latte plus haut cette année, pour sortir des réunions de carnotzet… Le repas de samedi devrait réunir 200 convives (réd : 150 inscrits à 10 jours) et la dégustation de dimanche après-midi, plus de 400 œnophiles.

La cause du vin vaudois vous tient à cœur. Non seulement vous êtes à la tête d’une maison de négoce, Hammel SA, à Rolle, et de ses six domaines familiaux, mais aussi de la commission des 1ers Grands Crus. Quel bilan tirer après deux ans ?

Leur nombre augmente. D’une dizaine en 2011, on est passé à une quinzaine avec le millésime 2012, qui vient d’être présenté. Pour 2013, trois dossiers sont acceptés, sous réserve de la dégustation de validation, renouvelée chaque année : un Saint-Saphorin de Jean-François Neyroud-Fonjallaz, le Château Saint-Vincent, à Gilly, qui ne pourra pas présenter de 2013 parce qu’il a été grêlé, et le Clos de l’Abbaye, de la Commune d’Yvorne.

Trois chasselas donc, qui s’ajoutent aux 15 premiers. Et trois rouges aussi… tous des domaines Hammel, tous de merlot, au pays du pinot-gamay. Comment l’expliquez-vous?

Je tiens à dire que même si nous vinifions cinq chasselas et les trois premiers rouges acceptés sur dossier, en attendant la dégustation probatoire, ces 1ers Grands Crus n’ont pas été fait sur mesure pour Hammel. Je ne suis arrivé à la présidence de la commission qu’après l’adoption de la base légale par le Conseil d’Etat. Pour ce qui est du merlot, les sélections plantées depuis une vingtaine d’années sont les plus qualitatives, ce qui n’était pas toujours le cas pour le gamay et le merlot. Le merlot a une masse tannique qui lui assure un beau potentiel de garde : il voyage naturellement bien dans le temps. Le réchauffement climatique, l’évolution des techniques de vinification, mais surtout la maîtrise des rendements, sévèrement restreints, servent sa cause. Mais je suis sûr que d’ici dix ans, des pinots et des gamays vaudois atteindront aussi ce niveau.

Rayon prix, avec une fourchette entre 15 et 25 francs, les chasselas 1ers Grands Crus reflètent les disparités régionales, malgré qu’ils font partie du haut du panier. Comment le justifier ?

Nous sommes restés pragmatiques. Le différentiel est inférieur à ce qu’on voit en Bourgogne, entre un 1er cru, l’un de Rully, l’autre de Gevrey-Chambertin. A terme, il s’agit de démontrer, avec nos 1ers Grands Crus, que même en faisant un sacrifice sur la quantité de raisin récolté, une telle bouteille est rentable. Le chasselas doit encore progresser pour justifier un prix au-delà de 25 francs la bouteille. Mais si on estime que le chasselas est un grand vin blanc, il devrait se vendre au niveau des meilleurs bourgognes. Ce sera plus facile pour 5’000 bouteilles que pour 50’000. Mais l’objectif est que tout le domaine vende son vin en 1er Grand Cru, et non seulement une partie.

Vous pensez arriver à combien de 1ers Grands Crus vaudois, répartis sur tout le territoire ?

A 50 dans les dix ans, avec un croissance de 5 à 6 par an. Je peux vous annoncer que pour le millésime 2014, les dossiers de deux vins de La Côte, deux de Lavaux et de deux du Chablais sont en bonne voie. Ce ne sera jamais plus de 5% de la production vaudoise.

On est au sommet de la pyramide vaudoise. Mais c’est le socle qui laisse à désirer, avec notamment une dévalorisation notable des grands crus. Comment réagir ?

Nous devons avoir une réflexion autour de cette notion. Il faut reserrer le cadre des grands crus, dans le sens des AOC Grand Cru Dézaley et Calamin qui, dès 2013, ne peuvent être ni ouillés, ni coupés.

Et pour les AOC elles-mêmes ?

Je pourrais me déclarer favorable à un élargissement de la zone de production à plusieurs communes, regroupées sous un nom de village. Mais quoi qu’il en soit, notre salut passe par le collectif, comme en Bourgogne, où le marché des vins est sain. Il faut trouver, avec l’implication de l’Etat, un modèle qui satisfasse l’ensemble de la filière. Actuellement, le modèle vaudois n’est pas satisfaisant.

Propos recueillis par Pierre Thomas

Bio expresse

Charles Rolaz est né en 1961 — grand millésime ! — dans une famille vitivinicole de La Côte. Avocat dans un cabinet international à Genève, il fait un master en droit international à Londres et se frotte à l’exportation des vins suisses en Angleterre. Il se rend alors compte de leur «déficit de notoriété». En 1992, il revient au pays et entre chez Hammel SA, dont il a pris la tête du conseil d’administration en ce début d’année, succédant à son père. En plus de vingt ans, il a diversifié l’encépagement des domaines familiaux pour «mieux profiler les vins à l’exportation». Pourtant, celle-ci reste marginale : «Le marché suisse est très demandeur en vins de haut de gamme et nous voulons avoir suffisamment de vins à exporter avant d’investir dans l’export», explique Charles Rolaz. Pendant 25 ans, il a travaillé avec Fabio Penta, qui a quitté l’entreprise en 2013. Pour le remplacer, il vient d’engager une jeune œnologue parisienne, Marie Sébille, formée à Bordeaux. Mais Charles Rolaz insiste sur un «travail partagé», avec un autre jeune collègue, Alsacien. Ce «team» veillera sur un élevage de près de 500 barriques, à Rolle.

V.o. d’un article paru le 8 mars dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo.