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Posted on 18 novembre 2013 in Vins suisses

Un clos reconstitué par passion

Un clos reconstitué par passion

Vendus en primeurs sur Internet, les trois premiers vins 2011 du Clos de Tsampéhro, sur le coteau entre Sion et Sierre, sont sortis officiellement d’une cave agrandie et modernisée. Une belle aventure pour un quatuor.

Par Pierre Thomas

La création d’une cave est un phénomène rare en Suisse romande. Celle d’un domaine de près de 3 hectares encore plus… A Flanthey, ils sont quatre à avoir contribué à l’entreprise. Un financier d’abord : le banquier privé genevois (de Pictet), Christian Gellerstad, un ami de longue date du vigneron, Joël Briguet, qu’il n’a revu qu’après une carrière de 15 ans à l’étranger, et deux œnologues, Vincent Tenud, qui signe depuis dix ans les vins de la cave La Romaine, et Emmanuel Charpin, ancien de l’œnothèque du Château de Villa, devenu président de la Charte Grain Noble ConfidenCiel.

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Ce quatuor est réuni dans une société qui pilote le Clos de Tsampéhro, près de 3 hectares de vigne, rachetés petit à petit à 33 (!) propriétaires, sous le village de Flanthey. Lundi 4 novembre 2013, ils recevaient de nombreux amis du vin — sommeliers, marchands, journalistes —à la Cave La Romaine. Creusée dans le coteau, elle a été agrandie pour abriter deux millésimes simultanément dans un chai à barriques en gradins, surmonté d’une salle de dégustation : entre ses pieds, le client voit les barriques…

Cinq mantras

Terre, science et finance : c’est le tiercé dans l’ordre (ou le désordre !) du «nouvel âge» du vin suisse. Ici ou là, de telles alliances se nouent pour tirer vers le haut les nectars de nos coteaux.

Au-delà du béton, le ciment de cette alliance reste la passion et Christian Gellerstad assure qu’il a fallu moins de 5 millions de francs pour mettre à flot ce Clos, dûment cadastré. Le financier genevois, né à Göteborg il y a 45 ans, a présenté les «cinq mantras» de ce projet appelé à durer trente ans et davantage et dont on n’est qu’à la «première édition», pour reprendre la mention de l’étiquette, du millésime 2011.

D’abord, il s’agit de signer un «vin suisse» répondant à tous ces clichés, marque de fabrique du «swissness», que sont «le goût de l’effort, l’amour du travail bien fait, la haute précision et l’obsession du détail», avec une «tolérance zéro» en matière de qualité. Ensuite, qui dit clos dit forcément «parcellaire», cultivé en bio, avec la mise en valeur d’un terroir spécifique. Mais ce «parcellaire» n’implique pas le monocépage : les trois premiers vins présentés sont des assemblages, «pour que 1 plus 1 fasse davantage que 2», calcule l’investisseur.

Et puis, ces vins doivent être «de garde» : «Il faut militer davantage pour que ça se sache». Sans promesse de durer, le vin — suisse aussi ! — n’est qu’anecdote sans lendemain. Toutes les chances ont été mises pour assurer cette durabilité : sous-sol calcaire, garant d’une bonne acidité du raisin, puis vinification, après égrappage partiel, entièrement dans le bois, depuis les petites cuves de vinification, tronconiques (de modèle italien, photo ci-dessous), jusqu’aux barriques, renouvelées sur un cycle de trois ans.

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Le tout pour créer des «vins d’émotion» à «séduction lente». Ajoutez-y un souci du «marketing» qui a marché en plein : par une souscription sur Internet, le Clos de Tsampéhro a réussi à écouler quasi tous les vins du premier millésime (2011) sans les faire officiellement déguster.

Un blanc, un rouge et un mousseux !

Originales, les trois cuvées le sont certainement. Elles viennent d’êtres mises en bouteille… La prime revient au blanc, 850 bouteilles, 38 fr., un assemblage original, vinifié ensemble, de païen (70%) et de rèze (30%), le cépage d’origine du «vin du glacier» cher aux Anniviards. Le nez est un brin résineuse, l’attaque encore vanillée (18 mois de barrique), riche, grasse, puissante, avec un milieu de bouche sur les fruits exotiques, l’ananas, et une finale légérement «bitter».

Le rouge (2100 bouteilles, 79 fr.) allie à la fois le côté international par le merlot (25%) et les cabernets franc (13%) et sauvignon (12%) et, local, pour l’autre moitié, ce cornalin dont Flanthey se dit légitimement la capitale ! Les 21 mois de barrique sont peu sensibles, dans un vin d’une belle densité de couleur, au nez un peu fermé, à l’attaque juteuse, sur les fruits rouges, avec un bon volume, une finale sur le graphite et l’amande amère, et une longueur moyenne.

Troisième vin, un effervescent, qui demande à cueillir du raisin moins mûr que pour les deux autres (titrant, blanc et rouge, les 14% d’alcool), élaboré dès la prise de mousse par le Genevois Xavier Chevallay. Cet extra brut (moins de 3 g. de liqueur d’expédition ; 500 bouteilles, 38 fr.) est fait de chardonnay et de pinot noir, et de petite arvine. Il reste 20 mois sur lattes. Le cépage valaisan lui confère une belle fraîcheur : on lui a trouvé un goût fruité, de fraise des bois, d’ananas frais, avec une pointe d’amertume en finale.

Avec à peine plus de 3’500 bouteilles pour près de 3 hectares, le démarrage se fait en douceur : à terme, ce sont 12’000 bouteilles qui devraient être mises sur le marché de ce «haut de gamme». Déjà, un importateur de Hong Kong s’y est intéressé.

Les assemblages rouges ont la cote

Et il sera intéressant de confronter ces vins d’assemblage rouges qui, peu à peu se font leur place sur la scène internationale, en dégustation à l’aveugle. Car peu avant l’Electus de Provins, dont les dégustateurs suisses ont été tenus à l’écart, et qui a été élaboré sur le modèle du Constellation de Giroud Vins, sont apparus le Cœur de Domaine de Rouvinez (le 2011, deuxième meilleur assemblage rouge au Grand Prix des Vins Suisses, devant le Clos Corbassières, autre assemblage de Provins) et la Cuvée 1858 de Bonvin, saluée comme le mieux noté des rouges suisses dégustés par les «meilleurs sommeliers du monde» 2007, Andreas Larsson, et 1998, Marco Delmonego.

A noter que Bonvin, la plus ancienne maison de vin du Valais (d’où la date de 1858), rachetée par le groupe sierrois Rouvinez, vient de mettre la main sur un domaine historique, de moins de 3 hectares à Diolly, sur Sion. Là où Henry Wuilloud, par qui la syrah parvint en Valais dans les années 1920, fit des essais, notamment avec le robin noir, baptisé «Rouge de Diolly», croisé, en 1970, avec du pinot noir pour engendrer le «diolinoir».

Sur le Net: tsampéhro.com

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 14 novembre 2013.

©thomasvino.ch