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Posted on 22 juillet 2013 in Actus - News

Une question de principe à… 36 centimes

Une question de principe à… 36 centimes

C’est une déferlante estivale : reliant le quotidien économique libéral L’Agefi, les journaux romands propagent les cris d’orfraie sur l’éventuelle liberté d’importer 20 litres de vin par personne, en trafic touristique, à des fins de consommation privée. Et tous mettent en évidence que cette limite est actuellement à 3 litres «libres de droit».

Par Pierre Thomas

Mais que coûte en réalité, aujourd’hui, l’importation de 32 bouteilles de vin au pékin-touriste ? Très exactement 0,36 ct par bouteille de 0,75 l. (tolérance à 0 fr. de douane comprise),  plus l’acquittement de la TVA de 8% sur la valeur du vin, pour autant qu’il soit déclaré ! Ensuite, il faut payer 3 fr. par litre (les douanes proposent 2 fr. à l’avenir).

Déjà maintenant, il n’y a donc aucune dissuasion à l’importation de vin étranger par les touristes. Certains vignerons déduisent du reste la TVA à la vente à des étrangers qui doivent faire estampiller un formulaire à la douane : les vins français et italiens sont alors moins cher en Suisse que consommés dans le pays producteur.

Voilà la réalité.

Quand les douanes se dédouanent

Jusqu’au 13 août, l’adminisration des douanes met en consultation un projet de revision des dispositions en vigueur, en proposant de libéraliser jusqu’à 20 litres le droit d’importer du vin, sous couvert de simplification des formalités douanières. Mais, auparavant, la Fédération suisse des vignerons, l’Interprofession de la vigne et des vins suisses et l’Union suisse des paysans avaient émis l’idée de limiter l’accès des vins étrangers en Suisse dans le trafic touristique en repoussant la franchise à 5 litres (6 bouteilles au lieu de 3 actuellement), puis au-delà, 3 fr. de droit de douane par litre.

Simultanément, la Fédération suisse des vignerons et l’Interprofession de la vigne et des vins suisses ont lourdement insisté ces derniers mois sur le fait que les importations parallèles de vins représenteraient 25 millions de litres par an.

Ainsi, la consommation du vin en Suisse n’aurait, en fait, pas baissé : seule la consommation des vins indigènes qui, pour la première est passée sous la barre des 100 millions de litres, aurait régressé. Certes, depuis vingt ans, on boit 14% de moins par an en Suisse… mais une frontière «poreuse» diminuerait la réalité de cette chute. Impossible de vérifier ces chiffres : ces importations parallèles auraient lieu sans le moindre contrôle. Et, sous-entendu, l’administration des douanes ne fait pas son boulot. Allez vous étonner qu’aujourd’hui, elle pense à se… dédouaner !

La voie de l’accise (et la peur de l’impôt)

Plus fondamentalement, si la Suisse a un problème de consommation de vin, elle pourrait introduire un système d’«accise». Késako ? Tiré des mots anglais «excise», un impôt sur les boissons levé en 1650 déjà, il s’agit d’une taxe, un système régi pays par pays, parfaitement toléré par l’Union européenne, malgré la suppression des barrières douanières entre les Etats.

Depuis vingt ans, l’UE a établi des règles pour ces «accises». Celles pour le vin n’ont pas été supprimées : leur seuil a été fixé à…zéro ! Car le principe d’accise est de frapper certains produits de la même taxe sur la quantité (et non la valeur), qu’ils soient indigènes ou importés. Les grands pays producteurs de vin ne vont donc pas scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Qui plus est, les vignerons ont horreur des taxes. En Suisse aussi où, un autre été, ils ont désamorcé le retour éventuel d’un impôt sur le vin.

Pourtant, prélever 0,50 franc par litre de vin à titre d’«accise» permettrait d’encaisser un peu moins de 50 millions de francs «indigènes» et près de 100 millions de francs à titre de vins importés. Ce pourrait être le retour du «fonds viticole», liquidé au début des années 2000 (et remplacé par 6 millions de francs de subsides en faveur des vins suisses), et permettrait ainsi d’affecter tout ou partie de cette somme à la promotion, par exemple des vins suisses, en parallèle avec à un projet du genre «educ-alcool» pour encourager une consommation modérée et consciente de vin auprès des jeunes, sur le modèle de ce qu’a fait le Québec.

Encore faudrait-il que tout le monde se mette à table autour d’un projet constructif. Y compris les producteurs suisses-négociants en vins étrangers, à la double casquette : ce sont les mêmes qui poussent des cris d’orfraie quand on touche au patrimoine helvétique, mais vendent à vil prix des vins étrangers d’entrée de gamme pour occuper tous les casiers des supermarchés et tous les étages de la pyramide des vins consommés en Suisse.

On l’oublie, le marché suisse du vin est avant tout bourré… de contradictions!

©thomasvino.ch